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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 79

Le mardi 15 novembre 2022
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 15 novembre 2022

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Journée nationale de la philanthropie

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, les Canadiens sont des gens très généreux. Nous sommes généreux de notre temps, que ce soit en faisant du bénévolat dans une banque alimentaire locale ou un refuge pour sans-abri, en faisant des biscuits pour l’école locale de nos enfants ou petits-enfants ou en faisant des dons aux nombreux organismes de bienfaisance et organismes sans but lucratif qui font tant de bonnes choses pour nos collectivités.

Pour reconnaître de tels actes de bonté, nous rendons hommage aujourd’hui aux contributions exceptionnelles des Canadiens et des personnes du monde entier, car c’est la Journée nationale de la philanthropie. La philanthropie représente l’amour de l’humanité, un amour qui peut prendre de nombreuses formes.

Le secteur caritatif et sans but lucratif au Canada est énorme. Selon Imagine Canada, le secteur emploie 2,4 millions de personnes, soit 1 travailleur canadien sur 10; il représente 8,3 % du PIB du Canada, soit environ 192 milliards de dollars; et 13 millions de bénévoles donnent près de 2 milliards d’heures par année.

Chers collègues, comme beaucoup d’entre vous le savent, le Canada est devenu le premier pays du monde à reconnaître officiellement la Journée nationale de la philanthropie. Notre ancien collègue l’honorable sénateur Mercer a réussi à faire adopter par le Parlement une loi qui reconnaît officiellement cette journée en 2012. Nous en sommes très fiers, car nous devrions être fiers de tous les efforts des bénévoles et des employés du secteur qui se dévouent corps et âme à aider tant de personnes dans le besoin.

Je suis heureuse d’exprimer mes remerciements aujourd’hui et j’encourage tous les sénateurs à se joindre à moi pour témoigner leur reconnaissance aux personnes qui donnent du temps, de l’argent et des soins pour aider les autres. Merci.

Le Mois de la littératie financière

L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour attirer l’attention sur un sujet qui revêt une importance particulière puisque notre pays évolue dans un environnement économique nouveau et difficile. Le mois de novembre est le Mois de la littératie financière, ce qui est particulièrement pertinent cette année, compte tenu des difficultés que connaissent actuellement, ou que connaîtront dans les prochains mois, un grand nombre de nos concitoyens. Il nous incombe donc à tous de nous préparer à ce que de nombreux experts décrivent comme une période troublante, déjà caractérisée par des pressions inflationnistes, l’augmentation des taux d’intérêt, l’endettement élevé des ménages et un marché du travail qui s’annonce difficile.

Afin de souligner ce mois et de nous aider à composer avec la conjoncture difficile que nous traversons, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, l’ACFC, a élaboré une série d’outils de sensibilisation destinés à aider les Canadiens à accroître leur résilience financière face à ces vents contraires. Le thème de cette année est : « Faisons des changements qui comptent : gérer son argent dans un monde en évolution ». Tout au long du mois, l’ACFC et ses organismes partenaires de tout le pays mettront l’accent sur la façon dont les Canadiens peuvent mieux gérer leurs dettes pour atteindre leurs objectifs financiers et renforcer leur résilience financière.

De nombreux ménages canadiens sont actuellement très endettés, ce qui les rend particulièrement vulnérables à la hausse des taux d’intérêt et du coût de la vie. Le ratio de la dette par rapport au revenu disponible dans notre pays approche un niveau record et compte parmi les plus élevés des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE.

Tout au long de la campagne du Mois de la littératie financière, cinq grands sous-thèmes seront mis à l’honneur, y compris la gestion des dettes, la planification pour l’avenir et l’emprunt judicieux d’argent. Il est plus important que jamais de mettre l’accent sur ces enjeux.

L’Agence de la consommation en matière financière du Canada a quelques trucs à proposer aux Canadiens pour les aider à relever ces défis. Si vous avez des concitoyens qui se demandent comment ajuster leur budget, consolider leurs dettes à taux d’intérêt élevé ou élaborer des stratégies pour réduire leurs dépenses, demandez-leur de consulter la page Canada.ca/mois-de-la-litteratie-financiere. Sur cette page, ils trouveront de nombreuses suggestions sur la façon de s’adapter et de persévérer face aux choix, difficultés et chocs financiers prévisibles et imprévisibles de la vie.

Le monde financier est de plus en plus numérique et complexe. À l’instar de la lecture et de l’écriture, la littératie financière est une compétence essentielle dont nous avons tous besoin pour prendre des décisions éclairées. En tant que sénateurs, c’est quelque chose que nous sommes tenus de promouvoir. J’attire votre attention là‑dessus dans l’espoir que vous ferez votre part pour promouvoir la littératie financière.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de stagiaires de l’honorable sénatrice Pate.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L’honorable Murray Sinclair
L’honorable Dan Christmas

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, je félicite et je salue aujourd’hui notre ancien collègue l’honorable Murray Sinclair et notre collègue le sénateur Christmas, mon voisin de banquette, qui partira bientôt à la retraire. Ces deux leaders autochtones qui ont fait figure de chefs de file inspirants sont bien connus pour leurs innombrables réalisations avec et pour les peuples autochtones dans leurs collectivités et leurs régions respectives ainsi qu’au Canada et dans le monde. Aujourd’hui, l’Université Queen’s de Kingston a désigné l’honorable Murray Sinclair 15e chancelier de cet établissement d’enseignement et premier Autochtone à occuper cette fonction, et elle a décerné au sénateur Christmas un doctorat honoraire en droit.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Pate : Bon nombre d’entre nous savent que le chancelier Sinclair a reçu de nombreuses distinctions bien méritées, notamment pour son rôle de chef de file comme avocat et comme premier juge autochtone nommé au Manitoba et deuxième au Canada. Il a notamment dénoncé les violations, au Canada, des droits de la personne et des droits garantis par la Charte, la discrimination systémique et la surreprésentation des Autochtones dans les services de protection de l’enfance et le système de justice pénale. Il a également soulevé les enjeux concernant les Autochtones disparus et assassinés, drame qui dure depuis des décennies. Le chancelier Sinclair a également coprésidé l’Enquête publique sur l’administration de la justice et les peuples autochtones au Manitoba et la Commission de vérité et réconciliation. Depuis le dépôt du rapport de cette commission en 2015, il demeure fermement déterminé à veiller à ce que le gouvernement donne suite aux 94 appels à l’action. Récemment, il a exhorté le gouvernement à amender le projet de loi C-5 en libérant les juges de l’obligation d’imposer des peines minimales obligatoires, ce qui permettrait de donner suite aux appels à l’action qui visent à éviter l’incarcération massive d’Autochtones.

Avec sagesse, considération et clarté, il continue de nous exhorter à faire mieux et à nous améliorer, et il est une source d’inspiration à ces égards.

(1410)

Le sénateur Christmas est également un brillant chef de file et militant, doté d’un cœur aimable et généreux. Il a travaillé sans relâche pour sauvegarder la souveraineté et les droits issus de traités des Mi’kmaq en Nouvelle-Écosse et encourager la réconciliACTION. Avant de siéger au Sénat, le sénateur Christmas a contribué à faire passer sa collectivité de la quasi-faillite à sa situation actuelle, soit l’une des Premières Nations les plus prospères et les plus florissantes du pays. Dans sa collectivité, Membertou, et ailleurs, il continue à travailler à l’élimination des obstacles persistants auxquels trop de gens sont confrontés en raison d’attitudes et de systèmes discriminatoires persistants.

Les réalisations et les états de service exceptionnels du sénateur Christmas lui ont déjà valu de nombreux prix et diplômes honorifiques. Parmi ses nombreuses contributions dans cette enceinte, beaucoup d’entre nous se souviendront toujours de l’hommage très touchant qu’il a rendu à son père, vétéran de la Deuxième Guerre mondiale.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour célébrer la merveilleuse reconnaissance de ces deux chefs de file formidables, inspirants et fabuleux. Meegwetch. Merci.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de représentants et de porte-paroles de la Fondation de la recherche sur le diabète juvénile. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Hartling.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Mois de la sensibilisation au diabète

L’honorable Nancy J. Hartling : Honorables sénateurs, novembre est le Mois de la sensibilisation au diabète et, pour l’occasion, nous accueillons cette semaine, sur la Colline du Parlement, 30 enfants de diverses régions de notre pays qui sont atteints du diabète de type 1. Ils sont accompagnés de leurs parents et ils représentent l’organisme Les enfants pour une guérison. Je suis très heureuse de les compter parmi nous.

En tant que l’une des coprésidentes du caucus multipartite sur le diabète juvénile, je vous encourage tous à vous informer sur les priorités fondamentales de la Fondation de la recherche sur le diabète juvénile, la FRDJ, en consultant le mémoire prébudgétaire de 2023. Vous en apprendrez ainsi davantage sur la réalité de ces enfants. La FRDJ est une organisation entièrement dévouée à trouver un remède pour le diabète de type 1 et elle est cheffe de file mondiale pour le financement de la recherche dans ce domaine.

Cette maladie touche des millions de gens. La FRDJ veille à ce que de nouvelles thérapies soient mises au point pour soigner les problèmes de santé mentale communs aux personnes atteintes de diabète de type 1. Merci à toutes les équipes de la FRDJ pour l’ensemble de votre travail.

En ce qui me concerne, j’ai été personnellement concernée par cette maladie quand mon petit-fils, Max, a reçu son diagnostic quand il avait seulement 2 ans. J’ai beaucoup appris au cours des huit dernières années, et mon petit-fils est la principale raison pour laquelle je milite pour accroître la sensibilisation à l’égard de cette maladie. Par ailleurs, j’aimerais souligner la présence de deux jeunes amies très importantes qui sont atteintes du diabète de type 1. Elles sont originaires du Nouveau-Brunswick et elles nous visitent cette semaine.

[Français]

J’ai eu le plaisir de rencontrer Vanessa Galluchon et sa mère, Judy Roy, de Dieppe, au Nouveau-Brunswick, lors de l’événement Les enfants pour une guérison, à Ottawa, en novembre 2018. Vanessa a reçu un diagnostic de diabète de type 1 à l’âge de 13 mois; elle est maintenant âgée de 16 ans — bientôt 17. Vanessa nous a dit que vivre avec le diabète de type 1 n’est pas facile et elle travaille dur pour sa guérison. Elle a recueilli 4 815 $ pour la Marche pour la guérison du diabète, à Moncton. Un de ses passe‑temps favoris est de monter son cheval nommé Déjà. Ce printemps, elle obtiendra son diplôme de l’école Mathieu-Martin. Elle souhaite aller à l’université en septembre. Bonne chance, Vanessa!

[Traduction]

J’ai aussi eu le plaisir de faire la connaissance de Mariah Inglis et de son père, Robert, lors des rencontres virtuelles organisées par la FRDJ pour les jeunes du Canada atlantique qui sont atteints du diabète de type 1. Mariah a 13 ans. Elle est en huitième année et habite à Sackville, au Nouveau-Brunswick. Elle a reçu un diagnostic de diabète lorsqu’elle était âgée de 9 ans. Elle milite pour trouver un remède à la maladie au moyen de la sensibilisation, en participant à des marchethons avec la FRDJ, en prenant la parole lors de divers événements, en organisant des ventes de pâtisseries et en tenant diverses activités de financement visant des dispositifs pour les diabétiques. Elle continue de rencontrer les responsables provinciaux des politiques en matière de santé. Dans ses moments libres, Mariah aime jouer au basketball, voyager, cuisiner des pâtisseries, faire des sports nautiques et monter à cheval. Bravo.

À l’avenir, soutenons tous la FRDJ et tous les jeunes qui sont déterminés à trouver un remède au diabète de type 1.

Merci.

Des voix : Bravo!

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Connor Chow. Il est l’invité de l’honorable sénatrice Batters.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le jour du Souvenir

L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, nous avons beaucoup de travail en cours. Aujourd’hui, alors que nous commençons à apercevoir les lumières, les arbres et la magie du temps des Fêtes, que nous célébrons la Journée nationale de l’enfant, que nous relevons nos manches en vue de quatre semaines très occupées, je tiens à consacrer encore un moment au jour du Souvenir.

Le 4 novembre 2022, c’est avec une merveilleuse cérémonie que nous avons lancé la semaine du Souvenir ici au Sénat. À cette occasion, le Président accueille de nombreux vétérans et leur rend hommage pendant une cérémonie spéciale; c’est un honneur pour nous d’y être invités et d’y participer. Par ailleurs, chaque sénateur a le privilège d’envoyer une couronne de fleurs à la collectivité de son choix. Comme vous tous, je fais un choix mûrement réfléchi chaque année.

Chaque année, nous découvrons les récits de divers Canadiens, qu’il s’agisse d’histoires plus que centenaires ou très récentes. La semaine dernière, M. Peter Mansbridge — un nom que vous reconnaîtrez peut-être — a pris le temps de mettre en lumière différentes histoires tout au long de la semaine dans le cadre de son balado, « The Bridge ». L’épisode le plus touchant a peut-être été celui du 10 novembre 2022, dont le thème était « À votre tour de vous souvenir » : il s’est alors concentré sur des récits écrits et soumis par des Canadiens.

Cette année, j’ai découvert ce qui est arrivé à une vingtaine de pilotes saskatchewanais de l’Aviation royale canadienne en 1946, après la Deuxième Guerre mondiale. Je suis certaine que mes collègues de la Saskatchewan connaissent bien cette histoire tragique.

La collectivité en question est la ville d’Estevan, en Saskatchewan. Imaginons la situation. La guerre est terminée. Les militaires rentrent chez eux. Le Canada a loué des avions aux États‑Unis, et il est temps de les rendre. Le dernier de ces appareils, un avion-cargo C-47, est retourné au Dakota du Nord. Vingt pilotes et un membre d’équipage retournent chez eux à bord d’un avion, mais leur appareil s’écrase près de l’aéroport d’Estevan. Ces pilotes qualifiés qui ont survécu aux conflits meurent tragiquement peu après la fin de la guerre. Un magnifique monument commémoratif a été érigé en souvenir de ces hommes courageux qui sont morts dans l’exercice de leurs fonctions.

Cette année, pendant le jour du Souvenir, j’étais aux États-Unis. J’ai voulu en apprendre un peu plus sur les anciens combattants de ce pays. J’ai donc rendu visite à de jeunes hommes et femmes qui sont retournés chez eux après une mission dans les cinq dernières années environ. J’ai découvert un organisme sans but lucratif, Home Base, qui offre gratuitement des programmes destinés aux anciens combattants et aux membres de leurs familles pour traiter ceux qui souffrent du trouble de stress post-traumatique, d’un traumatisme cérébral, d’anxiété et de dépression, pour veiller au bien-être de ces gens et pour aider ceux qui souffrent d’isolement social. Cela m’a rappelé les organismes bénévoles canadiens qui travaillent fort pour offrir des services à ceux qui rentrent chez eux, comme le Réseau de transition des vétérans, Wounded Warriors Canada et la Légion royale canadienne. Nous les remercions de tout ce qu’ils font pour les soldats qui rentrent chez eux.

Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’enseignants et d’élèves du Centre d’éducation North Addington. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Boyer.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La vérificatrice générale

Dépôt des rapports de l’automne 2022

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les rapports de l’automne 2022 de la vérificatrice générale du Canada au Parlement du Canada, conformément à la Loi sur le vérificateur général, L.R.C. 1985, ch. A-17, par. 7(3).

[Traduction]

L’Énoncé économique de l’automne 2022

Dépôt de document

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, l’Énoncé économique de l’automne 2022.

[Français]

Le receveur général

Les Comptes publics du Canada—Dépôt du rapport de 2021-2022

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les Comptes publics du Canada pour l’exercice qui s’est terminé le 31 mars 2022, intitulés (1) Volume I — Revue et états financiers consolidés, (2) Volume II — Détails des charges et des revenus, (3) Volume III — Informations et analyses supplémentaires, conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, par. 64(1).

[Traduction]

La justice

L’Énoncé concernant la Charte en ce qui a trait au projet de loi C-31—Dépôt de document

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un énoncé concernant la Charte préparé par le ministre de la Justice ayant trait au projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif, conformément à la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, ch. J-2, par. 4.2(1).

[Français]

(1420)

Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie

Présentation du huitième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L’honorable Mobina S. B. Jaffer, présidente du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, présente le rapport suivant :

Le mardi 15 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l’honneur de présenter son

HUITIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite, a, conformément à l’ordre de renvoi du 8 décembre 2021, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les modifications suivantes :

1.Article 11, page 6 :

a) Remplacer la ligne 11 par ce qui suit :

« 11 (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, »;

b) ajouter, après la ligne 14, ce qui suit :

« (2) Avant de prévoir un mécanisme de vérification de l’âge en vertu du paragraphe (1), le gouverneur en conseil examine si le mécanisme :

a) est fiable;

b) assure le respect de la vie privée des utilisateurs et protège leurs renseignements personnels;

c) recueille et utilise des renseignements personnels à des fins de vérification de l’âge seulement, à moins que la loi ne prévoie d’autres fins;

d) détruit tout renseignement personnel recueilli à des fins de vérification de l’âge, une fois la vérification terminée;

e) respecte généralement les pratiques exemplaires dans les domaines de la vérification de l’âge et de la protection de la vie privée. ».

Respectueusement soumis,

La présidente,

MOBINA S. B. JAFFER

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion de la sénatrice Jaffer, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi no 2 sur l’allègement du coût de la vie (soutien ciblé aux ménages)

Présentation du septième rapport du Comité des finances nationales

L’honorable Percy Mockler, président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, présente le rapport suivant :

Le mardi 15 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a l’honneur de présenter son

SEPTIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif, a, conformément à l’ordre de renvoi du 3 novembre 2022, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

Le président,

PERCY MOCKLER

Honorables sénateurs, je tiens à remercier les membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales ainsi que le parrain du projet de loi, le sénateur Yussuff, pour leur travail et leur grand dévouement.

J’aimerais également remercier le personnel exceptionnel, comme les greffiers, les analystes, les interprètes, le personnel des communications et notre personnel de bureau qui ont travaillé très fort pour appuyer nos travaux.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Gagné, au nom du sénateur Yussuff, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Traduction]

Projet de loi d’exécution de l’énoncé économique de l’automne 2022

Préavis de motion tendant à autoriser certains comités à étudier la teneur du projet de loi

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle :

1.conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier la teneur complète du projet de loi C-32, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 3 novembre 2022 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022, déposé à la Chambre des communes le 4 novembre 2022, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat;

2.de plus, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit individuellement autorisé à examiner la teneur des éléments des sous-sections A et B de la section 3 de la partie 4 du projet de loi C-32;

3.le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 5 décembre 2022, et soit autorisé à déposer son rapport auprès du greffier du Sénat si le Sénat ne siège pas à ce moment-là;

4.les comités susmentionnés soient autorisés à se réunir pour les fins de leur examen de la teneur complète ou d’éléments spécifiques du projet de loi C-32, même si le Sénat siège à ce moment-là ou est ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard;

5.le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à prendre en considération tout rapport déposé conformément au point numéro trois au cours de son examen de la teneur complète du projet de loi C-32.

[Français]

L’Énoncé économique de l’automne 2022

Préavis d’interpellation

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur l’Énoncé économique de l’automne 2022, déposé à la Chambre des communes le 3 novembre 2022 par la vice-première ministre et ministre des Finances, l’honorable Chrystia Freeland, c.p., députée, et au Sénat le 15 novembre 2022.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Sénateur Gold, l’inaction du gouvernement à l’égard de l’ingérence au Canada du gouvernement communiste de la Chine met de plus en plus en danger la démocratie canadienne.

Selon ce que rapporte Global News, les responsables du renseignement canadien ont informé le premier ministre dès janvier de cette année que la Chine ciblait le Canada avec une vaste campagne d’ingérence étrangère. Il s’agissait notamment de financer un réseau clandestin d’au moins 11 candidats fédéraux se présentant aux élections de 2019 et de mener des recherches sur des députés canadiens qui critiquaient les violations des droits de la personne commises par la Chine contre la population ouïghoure du Xinjiang.

Monsieur le leader, ma question est simple : pourquoi le gouvernement ne répond-il pas avec force à l’ingérence du régime communiste dans notre démocratie?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Sénateurs, protéger la population contre la menace de l’ingérence étrangère, qu’elle soit perpétrée par la Chine ou par n’importe quel autre pays, est précisément le mandat que les Canadiens ont confié au gouvernement et précisément ce que ce dernier fait. On m’a assuré que les organismes de sécurité nationale du Canada redoublent d’efforts pour gérer et prévenir activement les menaces d’intervenants étrangers malveillants tels que la Chine et la Russie. On m’a également assuré que tout harcèlement, toute intimidation ou toute coercition perpétré par une puissance étrangère fera l’objet d’une enquête et que des chefs d’accusation seront portés lorsque cela est justifié. Les Canadiens peuvent avoir l’assurance que le gouvernement ne ménagera aucun effort pour maintenir la sécurité publique.

Le sénateur Plett : Sénateur Gold, ce n’est pas parce que vous le dites que c’est nécessairement vrai.

Le gouvernement ne manifeste rien de ce que vous venez de dire. Monsieur le leader, l’urgence de cette menace semble évidente pour les responsables du renseignement du Canada, les sinologues et nos alliés, mais pourtant pas pour le gouvernement.

Nous savons que le régime chinois cible notre processus démocratique. Nous savons qu’il cible les Sino-Canadiens au moyen de postes de police qu’il exploite en territoire canadien. Pourtant, monsieur le leader, le premier ministre reste les bras croisés.

Monsieur le leader, quand le gouvernement abandonnera-t-il sa stratégie d’apaisement inefficace, qui ne fait qu’enhardir le régime voyou en Chine?

(1430)

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. La stratégie du gouvernement concernant la Chine n’est pas une stratégie d’apaisement. La ministre des Affaires étrangères, Mme Joly, a donné une idée de l’approche du Canada à l’égard de la région indo‑pacifique ainsi que de la stratégie qui sera adoptée pour régir les relations du Canada. Le Canada défendra toujours ses intérêts nationaux et il établira des relations dans la région indo‑pacifique qui lui permettront de faire avancer ses intérêts, notamment prendre des mesures énergiques contre l’ingérence chinoise dans nos affaires internes, démocratiques ou autres, et toute autre forme d’ingérence.

L’intégrité des élections

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Sénateur Gold, comme vous le savez, j’ai déjà été président d’un parti, alors je comprends très bien la gravité du problème. Je suis étonné que le gouvernement ne semble pas comprendre la gravité de l’ingérence étrangère dans les processus électoraux canadiens. Il est inconcevable que le premier ministre ait été informé que Pékin avait financé discrètement 11 candidats aux élections fédérales de 2019 et placé des agents dans des équipes d’employés de campagne et qu’il ait choisi de taire cette information pendant des mois.

Sénateur Gold, ce dont il est vraiment question, c’est l’intégrité de nos institutions démocratiques, et les Canadiens méritent mieux que ce que vous leur donnez. Ils méritent la vérité absolue et la plus grande transparence. Qui sont les 11 candidats dont les bureaux ont été prétendument infiltrés par le Parti communiste chinois lors de la campagne électorale fédérale de 2019?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je n’ai pas la réponse à cette question. Néanmoins, je sais que nos organismes de sécurité nationale redoublent d’efforts pour faire la lumière sur toutes allégations et menaces provenant d’acteurs étrangers malveillants comme la Chine. Comme je l’ai dit précédemment, le maintien de l’intégrité de notre système électoral demeure une priorité pour le gouvernement, position tout à fait légitime de la part d’un gouvernement. Voici ce que le premier ministre a déclaré à ce sujet :

Nous avons pris des mesures importantes pour renforcer l’intégrité de nos processus électoraux et de nos systèmes. Nous continuerons à investir en matière de lutte contre l’ingérence étrangère dans nos démocraties et nos institutions.

Le sénateur Plett : D’accord. Quelles sont-elles, sénateur Gold?

Sénateur Gold, vous affirmez ne pas connaître le nom des candidats impliqués. Je compte sur vous pour les obtenir. Il s’agit d’une question de sécurité nationale et de confiance dans nos institutions démocratiques. Le Parlement a besoin de ces renseignements. Sénateur Gold, accepteriez-vous un processus prévoyant, dans un premier temps, que le Parlement obtienne cette information, si nécessaire, et qu’ensuite se tienne une séance à huis clos?

Le sénateur Gold : Je ne suis pas en mesure de prendre un tel engagement au nom du gouvernement. Je vais certainement prendre la question en délibéré et me renseigner à ce sujet.

L’innovation, les sciences et le développement économique

Le financement de la recherche

L’honorable Stan Kutcher : Ma question s’adresse au sénateur Gold. La recherche en santé est à la base de l’amélioration de la santé de tous les Canadiens, mais notre écosystème de recherche en santé est en péril. Les investissements accusent un retard considérable par rapport aux autres pays de l’OCDE et nos esprits les plus brillants quittent le Canada pour faire carrière ailleurs. Par exemple, le pourcentage des dépenses en santé consacré à la recherche est de 4,7 % aux États-Unis, de 3,3 % en Australie et de 1,5 % au Canada.

Dans le cadre du concours de subventions Projet du printemps 2022 des Instituts de recherche en santé du Canada, seulement 19 % des demandes ont été retenues, non pas parce qu’elles n’étaient pas excellentes, mais plutôt parce qu’il n’y avait pas assez de financement. Au Royaume-Uni, le taux était de 35 %. Nous sommes à la traîne et nous ne pouvons pas continuer ainsi.

Des organismes de soins de santé et des chercheurs de premier plan ont demandé au gouvernement de doubler le financement des trois conseils. Le gouvernement du Canada écoutera-t-il cette demande d’intervention urgente et s’engagera-t-il à doubler le financement actuel des trois conseils dans le prochain budget?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement reconnaît que l’investissement dans la recherche et le soutien aux chercheurs canadiens sont essentiels pour résoudre les problèmes de santé dont souffrent les Canadiens. La pandémie a rappelé l’importance d’avoir accès à des données de recherche probantes.

Je souligne que le budget de 2018 prévoyait 354,7 millions de dollars sur cinq ans et 90,1 millions de dollars par année par la suite pour les Instituts de recherche en santé du Canada afin d’accroître le soutien à la recherche fondamentale. Le gouvernement continue également d’investir dans la recherche jugée importante pour la santé des Canadiens. Dans le budget de 2022, il a annoncé 20 millions de dollars pour étudier les effets à long terme de la COVID-19 et ses répercussions globales sur la santé et les systèmes de santé ainsi que 20 millions de dollars pour accroître nos connaissances sur la démence et la santé du cerveau. Les Instituts de recherche en santé du Canada attribueront ces fonds sur une période de cinq ans.

Dans le budget de 2022, le gouvernement s’est en outre engagé à financer des domaines de recherche importants, notamment celui des répercussions à long terme de la COVID-19. Grâce à ces investissements continus, le gouvernement montre sa volonté à soutenir un milieu de la recherche dynamique, équitable et diversifié afin de contribuer à relever les défis en matière de santé d’aujourd’hui et de demain.

Le sénateur Kutcher : Selon le Fonds monétaire international — et je tiens à remercier le bureau de la sénatrice Galvez pour la recherche —, en 2019, le Canada a versé à l’industrie du charbon plus de 7 milliards de dollars en subventions. Parallèlement, les Instituts de recherche en santé du Canada, eux, ont reçu environ 1,2 milliard de dollars. C’est illogique.

Les étudiants à la maîtrise qui travaillent dans un laboratoire de recherche gagnent environ 19 000 $ par année, et les doctorants, environ 21 000 $ par année. Comme vous le savez, en 2021, le seuil de faible revenu pour une personne seule était d’un peu plus de 24 000 $. Le gouvernement ne croit-il pas qu’investir dans les meilleurs et les plus brillants jeunes chercheurs du Canada est aussi important que subventionner l’industrie du charbon?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Comme je l’ai mentionné, ces dernières années, le gouvernement a fait des investissements historiques dans la recherche. Je ne répéterai pas les chiffres que je viens de donner, mais, dans le budget de 2018 seulement, le gouvernement s’est engagé à investir près de 4 milliards de dollars sur cinq ans pour appuyer la prochaine génération de chercheurs canadiens. Il s’agit clairement d’une priorité importante pour le gouvernement.

Le gouvernement demeure résolu à renforcer la capacité des chercheurs canadiens à l’aide de ressources, d’infrastructures renforcées et de réseaux de recherche.

[Français]

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les transferts en matière d’immigration

L’honorable Tony Loffreda : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, j’aimerais aborder la question de l’immigration au Québec. Nous savons que ce sujet fait couler beaucoup d’encre depuis un certain temps.

Au début du mois, le journaliste Joël-Denis Bellavance a publié un article dans La Presse selon lequel le Québec n’a utilisé que 25 % des fonds qui lui ont été versés par le gouvernement fédéral pour l’exercice financier 2021-2022 pour l’aider à franciser et à intégrer les immigrants. On parle de 168 millions de dollars sur une somme totale de près de 700 millions de dollars.

Sénateur Gold, pouvez-vous nous confirmer si les propos de M. Bellavance sont vrais? Si oui, est-ce que le gouvernement fédéral accepte le fait que ces fonds fédéraux destinés à atteindre des objectifs provinciaux précis ne sont pas dépensés?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question.

Comme vous le savez, cher collègue, le Québec a le pouvoir exclusif de sélectionner la majorité de ses immigrants. Grâce à l’Accord Canada-Québec, on verse des enveloppes financières au Québec pour lui permettre d’assurer la francisation des nouveaux arrivants.

Le gouvernement respecte cet accord, qui fonctionne très bien depuis des décennies. Le contenu de l’article auquel vous faites référence demeure, toutefois, inquiétant. On m’assure que le gouvernement continue de travailler en étroite collaboration avec le Québec et s’engage à toujours respecter les compétences des provinces en matière d’immigration.

Le sénateur Loffreda : Selon l’Accord Canada-Québec de 1991 relatif à l’immigration, je reconnais, j’accepte et j’approuve le fait qu’il revienne au Québec d’assurer l’accueil, l’intégration et la francisation des nouveaux arrivants en sol québécois. Je partage l’avis du premier ministre Legault à savoir que l’intégration doit être au cœur de notre politique d’immigration. Toutefois, cette récente nouvelle me préoccupe grandement.

Si cet argent était utilisé aux fins escomptées, le Québec pourrait peut-être accueillir plus d’immigrants et être en mesure de mieux les intégrer, ce qui pourrait atténuer certaines pressions sur le marché du travail.

Le gouvernement fédéral n’a-t-il pas une responsabilité de veiller à ce que les fonds qu’il transfère aux provinces pour un programme en particulier y soient consacrés et dépensés?

L’heure est-elle arrivée de réévaluer le concept des transferts fédéraux aux provinces sans conditions et d’explorer un mécanisme de transparence et de comptes à rendre?

Le sénateur Gold : Merci pour la question.

Le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec collaborent depuis longtemps pour faire progresser et respecter les priorités communes en matière d’immigration. La relation bilatérale d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada avec le Québec est définie en vertu de l’Accord Canada-Québec de 1991 et est guidée par le principe selon lequel l’immigration doit aider à préserver le poids démographique du Québec au sein du Canada, de même que son identité distincte. Le Québec a reçu beaucoup d’argent dans le cadre de cet accord, ce qui représente des augmentations récentes par rapport aux années précédentes. Le financement n’est pas lié au nombre total de nouveaux immigrants au Québec au cours d’une année donnée. Le montant de la subvention ne diminue jamais et le montant établi l’année précédente devient le montant de référence pour l’année suivante.

(1440)

Le gouvernement du Canada va continuer de travailler étroitement avec le gouvernement du Québec pour appuyer l’objectif d’accueillir le nombre d’immigrants nécessaire pour assurer le plein développement des entreprises et la vitalité du français au pays.

Les finances

Les obligations à rendement réel

L’honorable Clément Gignac : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Dans son énoncé économique du 3 novembre dernier, la ministre des Finances avait quelques surprises pour le milieu financier; du côté positif, des déficits moins importants que prévu pour le dernier exercice financier et pour l’exercice en cours, ainsi que l’intention du gouvernement de retrouver l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans. En contrepartie, la décision du gouvernement de mettre fin à l’émission d’obligations à rendement réel a causé une certaine surprise dans les caisses de retraite et les compagnies d’assurance du pays, qui sont les acheteurs traditionnels de ce type de produits pour se protéger contre les risques liés à l’inflation.

Rappelons que les obligations à rendement réel avaient été lancées en grande pompe, en 1991, peu de temps après que la Banque du Canada et le ministre des Finances de l’époque ont adopté conjointement une cible de 2 % pour l’inflation. Or, comme le mentionnait récemment l’économiste en chef de la Banque Nationale, le Canada sera désormais le seul pays à ne plus offrir d’obligations à rendement réel.

Sénateur Gold, ma question est la suivante : pouvez-vous préciser les raisons ayant motivé cette décision de la ministre des Finances de mettre fin abruptement à l’émission d’obligations à rendement réel, puisque son énoncé économique ne contenait que trois lignes pour expliquer sa décision?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. On m’avise qu’à la suite de vastes consultations menées en 2019, la décision a été prise d’annuler les obligations à rendement réel en raison de la très faible demande dans ce secteur. La décision d’annuler le programme d’émission d’obligations à rendement réel permettra également de maintenir la liquidité dans les secteurs de financement de base durant une période de diminution des besoins financiers du gouvernement. S’il est souhaitable, il me saura gré de demander plus de précisions au gouvernement et de les transmettre à la Chambre.

Le sénateur Gignac : Merci de votre réponse, sénateur Gold. En effet, je vous en serais reconnaissant. À la suite de l’annonce de cette décision par le ministère des Finances, l’Association canadienne des investisseurs obligataires, qui représente au-delà de 50 des plus gros investisseurs institutionnels au pays, avec des actifs de plus de 1 200 milliards de dollars, a publié hier un communiqué pour demander à la ministre des Finances de revenir sur sa décision et de prendre plus de temps pour tenir des consultations et analyser les conséquences de sa décision.

Sénateur Gold, par souci de transparence et afin de préserver l’indépendance et la crédibilité de la Banque du Canada, la ministre des Finances serait-elle prête à présenter la recommandation de la Banque du Canada au sujet de cette décision au ministère des Finances?

Le sénateur Gold : Merci pour la question. Je vais faire des recherches auprès du gouvernement et essayer d’obtenir la réponse sous peu.

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au leader du gouvernement.

Au Sommet du G20, qui se tient à Bali, le président des États‑Unis Joe Biden et le président chinois ont eu des discussions officielles en apparence cordiales et constructives. On parle ce matin d’un réchauffement des relations entre la Chine et les États‑Unis. À ce même sommet, le président chinois a multiplié les entretiens bilatéraux officiels avec plusieurs leaders du monde, mais pas avec M. Trudeau. Pendant ce temps, notre premier ministre persiste dans ses démarches assez solitaires pour créer avec d’autres pays de l’Asie-Pacifique un contrepoids à la Chine. Pourtant, la Chine est un acteur économique incontournable; les États-Unis l’ont compris, mais pas M. Trudeau.

Devant cette situation, pouvez-vous m’expliquer comment faire pour croire que la politique internationale pratiquée par le premier ministre Trudeau n’est pas en train de réduire, voire miner le poids du Canada? Sommes-nous en train de passer dans le groupe des acteurs mineurs?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. Non, ce n’est pas du tout le cas. Comme je l’ai dit récemment en réponse à une autre question, la ministre Joly et le gouvernement du Canada sont en train de préparer une nouvelle stratégie pour la région indo-pacifique. Ce n’est pas un secret que les relations entre le Canada et la Chine sont difficiles depuis un bout de temps. Le Canada s’efforce d’entretenir de bons rapports avec ses alliés dans la région pour faire contrepoids aux prétentions et aux actions de la Chine en ce qui concerne les droits de la personne et les autres actes hostiles perpétrés par ce régime.

Le sénateur Dagenais : Jean Chrétien, qui était premier ministre lors de la première réunion du G20, disait que ces sommets étaient le moment idéal pour multiplier les rencontres privées avec les grands leaders du monde et discuter de divers enjeux. On voit là tout un contraste avec ce que fait M. Trudeau. Le premier ministre ne parle ni à la Chine ni à la Russie. Cela n’apporte rien de positif quant à l’influence du Canada sur les grands enjeux mondiaux.

Croyez-vous qu’il serait temps que M. Trudeau s’inspire de l’approche préconisée par de grands premiers ministres comme Lester B. Pearson, Brian Mulroney, Stephen Harper et Jean Chrétien pour redorer l’image du Canada?

Le sénateur Gold : Merci pour la question. Comme je l’ai dit, le gouvernement est en train de se positionner dans un monde différent que celui dans lequel le premier ministre Chrétien et les autres que vous avez mentionnés ont vécu. La Chine et ses prétentions envers le monde sont très différentes et bien comprises du gouvernement. Je répète que le gouvernement du Canada s’engage à l’échelle mondiale pour défendre nos intérêts et les intérêts démocratiques de nos alliés.

[Traduction]

Les finances

La sécurité alimentaire

L’honorable Salma Ataullahjan : Monsieur le leader, le recours aux banques alimentaires a atteint un niveau record au Canada. La demande est particulièrement forte chez les étudiants canadiens et étrangers qui doivent composer avec la hausse des frais de scolarité et la flambée des prix des aliments et du logement. Sénateur Gold, les étudiants étrangers qui viennent au Canada sont parmi les plus brillants du monde. Ils sont une composante clé de l’avenir de notre pays. Ils apportent des milliards de dollars à l’économie canadienne. Il est honteux que beaucoup d’entre eux doivent recourir à des banques alimentaires pour survivre. Quand le gouvernement prendra-t-il au sérieux les difficultés liées à l’abordabilité qui empêchent nos jeunes et nos étudiants d’aller de l’avant?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement sait que l’insécurité alimentaire préoccupe tous les Canadiens, particulièrement ceux qui, comme les étudiants, ne sont pas à proximité de leur famille ou d’autres ressources. L’insécurité alimentaire est à la hausse. Le recours aux banques alimentaires le démontre, comme vous le soulignez. Heureusement qu’il y a les banques alimentaires et les généreux organismes et bénévoles qui les soutiennent.

Le gouvernement est conscient de ce problème et s’en préoccupe grandement. Dans le but de réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire, le gouvernement du Canada distribue des sommes importantes au moyen de programmes sociaux ciblés et de suppléments de revenus comme l’Allocation canadienne pour enfants. L’Énoncé économique de l’automne 2022 contient aussi d’autres mesures qui aideront les étudiants et que nous étudierons quand le projet de loi nous sera renvoyé. Le gouvernement continuera de faire de son mieux pour aider les personnes aux prises avec des difficultés telles que l’insécurité alimentaire et les autres enjeux liés à l’augmentation du coût de la vie.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur le leader, il ne s’agit pas d’un problème que le gouvernement peut régler en offrant un supplément unique à l’Allocation canadienne pour le logement ou en proposant d’autres solutions temporaires. L’annulation d’un abonnement à Disney+ ne résoudra pas plus la situation, contrairement à ce qu’a laissé entendre la ministre des Finances dans son sermon aux Canadiens la semaine dernière. De telles remarques montrent à quel point le gouvernement Trudeau est déconnecté de la réalité des Canadiens ordinaires. Les Canadiens ont besoin de solutions concrètes et durables pour faire face à la crise de l’abordabilité. Je vais répéter ma question : le gouvernement prendra-t-il enfin des mesures sérieuses en vue de rendre la vie plus abordable pour les étudiants et l’ensemble des Canadiens?

Le sénateur Gold : Merci de votre question. Je vais y répondre de nouveau. Le gouvernement prend des mesures sérieuses — des mesures ciblées, concrètes et soutenues — pour aider les Canadiens à surmonter les défis imposés par la hausse du coût de la vie.

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, je continue sur le sujet de l’ingérence de la Chine communiste dans nos affaires.

Hier, monsieur le leader, nous avons appris que la GRC a arrêté Yuesheng Wang, un employé d’Hydro-Québec, et l’a accusé d’espionnage. Dans une déclaration, les autorités affirment que M. Wang a obtenu des secrets industriels avec l’intention d’en faire profiter la République populaire de Chine, au détriment des intérêts économiques du Canada.

(1450)

Sénateur Gold, le Parti communiste chinois s’est ingéré dans nos processus électoraux. Il a fait installer des postes de police dans le but d’intimider des Canadiens d’origine chinoise et s’est infiltré dans nos industries.

Sénateur Gold, que faudra-t-il pour que le gouvernement reconnaisse la menace réelle que pose ce régime totalitaire et qu’il prenne enfin les mesures nécessaires pour protéger nos intérêts nationaux?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question, mais, encore une fois, avec tout le respect que je vous dois, je ne peux pas souscrire à vos suppositions. Le Canada prend des mesures. En fait, le cas dont vous parlez concernant l’ex-employé d’Hydro-Québec en est un exemple parfait.

Les organismes de renseignement et d’application de la loi travaillent fort et déploient des efforts considérables. Évidemment, vous comprendrez que je ne peux pas formuler de commentaires sur le cas que vous mentionnez. Il est tout simplement inexact d’affirmer que le Canada ne fait rien ou qu’il ne prend pas la question au sérieux.

Le sénateur Plett : Nous ne remettons pas en question les services de renseignements que nous avons au Canada. Nous remettons en question le manque d’action du premier ministre, pas les services de renseignements.

Sénateur Gold, voilà des années que les experts de la politique et les responsables du renseignement tirent la sonnette d’alarme à propos de la menace que représente le Parti communiste chinois. Toute l’information dont nous disposons indique que celui-ci est de plus en plus hardi. Pourtant, le gouvernement n’a pas adapté son approche en conséquence. Au contraire, il reste les bras croisés alors que nos institutions sont menacées.

Hier, nous avons appris l’existence d’un acte d’espionnage de la Chine au sein de la plus grande compagnie d’électricité du Canada. Il ne s’agira certainement pas du dernier incident de la sorte dont nous entendrons parler. Combien d’autres accusations d’espionnage devront encore être portées avant que le premier ministre Trudeau et son gouvernement finissent par se réveiller?

Le sénateur Gold : Le gouvernement du Canada est très éveillé, très attentif et très conscient de la menace que représente la Chine et il continuera à prendre les mesures nécessaires pour protéger les intérêts canadiens.

La santé

Les soins pédiatriques

L’honorable Rosemary Moodie : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement.

Sénateur Gold, comme vous le savez, une crise touche les centres de soins pédiatriques partout au pays. Vendredi dernier, à l’hôpital pour enfants de Toronto, la moitié des enfants étaient branchés à des respirateurs aux soins intensifs. À cause de cette flambée des cas de maladies respiratoires, des chirurgies n’ont pas pu être effectuées, l’accès aux urgences a été bloqué, et les services de soins intensifs ont été débordés. Il y a une semaine, l’IWK Health Centre a soigné un nombre sans précédent de patients gravement malades. Le Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario a ouvert un deuxième service de soins intensifs pour répondre à la demande sans précédent.

Sénateur Gold, je comprends la position du gouvernement fédéral, qui considère que l’argent n’est pas la seule solution et qu’il faut un changement systémique, et je suis d’accord. Cependant, nous devons faire face à une crise.

Même si, lors de leur récente rencontre, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé n’ont pas fait de progrès en ce qui concerne le financement des soins de santé, le ministre fédéral de la Santé a-t-il joint de nouveau ses homologues provinciaux et territoriaux pour trouver des façons constructives de collaborer en vue de résoudre cette crise des soins pédiatriques?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie d’avoir soulevé cette question, madame la sénatrice. La situation est préoccupante pour nous tous, que ce soit en tant que parents, grands-parents ou simples citoyens. Vous avez raison : il ne s’agit pas que d’argent, même si le gouvernement fédéral a fait d’énormes investissements dans la santé récemment, comme je l’ai souligné à d’autres occasions.

Vous avez mentionné les rencontres récentes entre les ministres de la Santé du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires. C’était la première réunion depuis 2018. Elle n’a pas permis d’accomplir les progrès que le gouvernement avait souhaités ou planifiés. Depuis le début de l’année, les représentants fédéraux, provinciaux et territoriaux collaborent pour préparer des plans d’action concrets afin de favoriser l’utilisation des données sur la santé, de faire progresser le dossier de la santé numérique pour les Canadiens et de soutenir les travailleurs de la santé.

Malheureusement, au lieu de permettre aux ministres de la Santé de faire leur travail et de collaborer pour avoir une discussion constructive et pertinente sur l’avenir des soins de santé au pays, les premiers ministres provinciaux et territoriaux les ont obligés à ne parler que d’argent, et non pas des façons d’améliorer le système. Ce n’est pas un plan digne de ce nom.

Le gouvernement du Canada demande aux premiers ministres de permettre à leur ministre de la Santé de faire le travail qui s’impose avec le ministre fédéral de la Santé pour garantir la pérennité et la prospérité du système canadien de santé universel et public.

La sénatrice Moodie : La crise des soins de santé pédiatriques, sénateur Gold, ne se limite pas à l’hôpital. Elle touche aussi les pharmacies, où les parents canadiens se battent depuis plusieurs semaines pour trouver des médicaments de base pour leurs enfants. Pour expliquer la situation, un article récent du Journal de l’Association médicale canadienne avance que la sécurité d’approvisionnement pharmaceutique du Canada, c’est-à-dire notre capacité de garantir que l’approvisionnement en médicaments n’est pas perturbé par les chaînes d’approvisionnement, est plutôt minimale.

Sénateur Gold, le gouvernement a annoncé hier qu’il avait obtenu une cargaison de médicaments qui se font très rares en ce moment. C’est évidemment une bonne nouvelle. Y aura-t-il bientôt un plan pour que les Canadiens puissent avoir la certitude qu’ils auront accès à des médicaments de base lorsqu’eux-mêmes ou leurs proches en auront besoin?

Le sénateur Gold : Merci pour votre question. Le gouvernement est heureux d’avoir pu obtenir une autre quantité d’acétaminophène pour enfants provenant de l’étranger. Ce médicament sera en vente dans les pharmacies communautaires et dans celles de détail au cours des prochaines semaines, pour aider à faire face aux besoins immédiats.

Pour trouver une solution à plus long terme, il faut que les gouvernements fédéral et provinciaux, mais aussi le secteur privé, augmentent notre capacité — déjà importante — de recherche sur les médicaments et le nombre d’installations de production de médicaments. Cette solution est dans l’intérêt du Canada sur le long terme.

Les affaires étrangères

Les sanctions économiques

L’honorable Marilou McPhedran : Ma question s’adresse au sénateur Gold. Bien que nous applaudissions ce que le Canada a fait et continue de faire pour soutenir l’Ukraine dans la guerre illégale et génocidaire que la Russie mène contre le peuple ukrainien, nous aimerions savoir ce que le gouvernement du Canada est prêt à faire de plus pour traduire en justice les architectes de cette guerre et signaler aux alliés et aux partenaires commerciaux de ceux-ci que l’isolement les attend sur la scène internationale s’ils continuent d’appuyer la guerre de Poutine? Oui, le Canada a imposé des sanctions contre certaines personnes, mais pourquoi Alexeï Mordachov, l’un des plus riches bellicistes russes, échappe-t-il toujours aux sanctions canadiennes alors qu’il fait déjà l’objet de sanctions aux États-Unis et dans l’Union européenne?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le Canada appuie fermement l’Ukraine contre l’invasion et l’annexion illégales de ses territoires par la Russie. De plus, il continue de multiplier les sanctions contre des personnes en Russie qui sont associées à ces actes et il continue d’évaluer la nécessité de prendre d’autres mesures à cet égard.


ORDRE DU JOUR

Le Code criminel
La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Rejet de la motion d’amendement

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Gagné, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénateur Boisvenu, appuyée par l’honorable sénatrice Seidman,

Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 14, à la page 3, par substitution, à la ligne 20, de ce qui suit :

« remplacés par ce qui suit :

e) il ne s’agit pas d’une infraction prévue à l’une ou l’autre des dispositions ci-après et poursuivie par une mise en accusation :

(i) l’article 221 (causer des lésions corporelles par négligence criminelle),

(ii) l’article 264 (harcèlement criminel),

(iii) l’article 267 (agression armée ou infliction de lésions corporelles),

(iv) l’article 270.01 (agression armée ou infliction de lésions corporelles — agent de la paix),

(v) l’article 271 (agression sexuelle),

(vi) l’article 279 (enlèvement),

(vii) l’article 279.02 (avantage matériel — traite de personnes),

(viii) l’article 281 (enlèvement d’une personne âgée de moins de quatorze ans),

(ix) l’article 349 (présence illégale dans une maison d’habitation). ».

L’honorable Denise Batters : Honorable sénateurs, je prends la parole afin d’appuyer l’amendement au projet de loi C-5 proposé par le sénateur Boisvenu. Cet amendement retirerait du projet de loi C-5 la possibilité de peine avec sursis pour différentes infractions, notamment celles qui sont liées à la violence conjugale, familiale ou sexuelle. Il ferait en sorte que les délinquants reconnus coupables de crimes graves comme l’agression sexuelle, l’agression armée, le harcèlement criminel, l’enlèvement d’enfant, la traite de personnes et la négligence ayant causé des lésions corporelles ne puissent pas obtenir une peine avec sursis.

La plupart des gens raisonnables sont d’avis que certains crimes, en raison de leur gravité, amènent la société à exiger une forme de réparation autant pour les victimes que pour la société en général. De manière générale, dans le cas des crimes les plus odieux, la société accepte que cette réparation passe par un séjour derrière les barreaux et par la privation de la liberté de circuler dans la collectivité. Les crimes inscrits sur la liste présentée par le sénateur Boisvenu appellent généralement ce genre de réparation, notamment parce qu’il est question de victimes vulnérables.

En vérité, les personnes condamnées à la prison au Canada n’y restent que très rarement pour la durée complète de la peine imposée. Dans la plupart des cas, les prisonniers sont libérés après avoir servi les deux tiers de leur peine. Bien souvent, la durée de leur incarcération peut même être réduite au tiers de la peine originelle. La plupart des Canadiens considèrent que cette situation est loin d’être acceptable.

La réhabilitation des détenus est certainement un objectif important à atteindre pour assurer la sécurité de la société. Cependant, il est possible de promouvoir l’atteinte de cet objectif tout en assurant l’adéquation de la peine et du crime. Dans certains cas, la prison est un lieu où les délinquants peuvent avoir accès à des programmes qui les aident à gérer leurs problèmes de violence. Par ailleurs, le fait d’imposer une peine d’emprisonnement au délinquant peut donner à la victime de violence conjugale le temps d’obtenir l’aide dont elle a besoin pour assurer sa propre sécurité et celle de sa famille. Dans le cas d’une peine non privative de liberté, comme les peines d’emprisonnement avec sursis que le gouvernement libéral propose avec le projet de loi C-5, les délinquants peuvent retourner dans les collectivités et, dans certains cas, dans les maisons mêmes où ils ont maltraité leurs victimes.

(1500)

La semaine dernière, dans l’arrêt R. c. Sharma, la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité des restrictions actuelles à l’utilisation des peines avec sursis imposées par le Parlement en 2012, sous le gouvernement Harper. L’affaire concernait Mme Sharma, une jeune femme autochtone de 20 ans, qui avait été trouvée à l’aéroport en train de transporter une valise pleine d’héroïne pour son petit ami. Mme Sharma avait un passé troublé, marqué par des difficultés importantes, des traumatismes intergénérationnels et des agressions sexuelles, et était une jeune mère seule disposant de peu de soutien. Mme Sharma a fait appel de sa condamnation pour importation de drogues, contestant la constitutionnalité des dispositions du Code criminel qui limitent l’application des peines avec sursis pour certaines infractions, affirmant qu’elles ont une portée excessive et qu’elles sont arbitraires et discriminatoires à l’égard des délinquants autochtones.

La majorité des juges de la Cour suprême a jugé que Mme Sharma n’était pas admissible à une condamnation avec sursis et a rejeté ses contestations au titre des articles 7 et 15(1) de la Charte. La Cour a statué que les circonstances personnelles de Mme Sharma ne rendaient pas son crime moins grave. Si un juge doit tenir compte — et l’a fait en l’occurrence — de la situation d’un délinquant, cela ne signifie pas qu’un délinquant autochtone ne peut pas se voir imposer une peine d’emprisonnement. Et, au nom de la majorité des juges, les juges Brown et Rowe ont déclaré :

Les dispositions contestées ne limitent pas les droits garantis à Mme Sharma par le par. 15(1). Bien que la crise relative à l’incarcération des Autochtones soit indéniable, Mme Sharma n’a pas, comme elle était tenue de le faire à la première étape de l’analyse fondée sur le par. 15(1), démontré que les dispositions contestées créaient un effet disproportionné sur les délinquants autochtones par rapport aux délinquants non autochtones ou qu’elles contribuaient à un tel effet.

Les dispositions contestées ne limitent pas non plus les droits garantis à Mme Sharma par l’art. 7. Elles visent à renforcer la cohérence du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement en faisant de l’emprisonnement la peine habituellement infligée pour certaines infractions et catégories d’infractions graves. Et c’est bel et bien ce qu’elles font. Les peines maximales sont un indicateur raisonnable de la gravité de l’infraction, et, par conséquent, les dispositions en question ne privent pas les individus de leur liberté dans des circonstances qui n’ont aucun lien avec l’objectif visé.

Lorsque le ministre de la Justice, M. Lametti, a présenté le projet de loi C-5 au Comité sénatorial des affaires juridiques, il a donné l’exemple d’« une mère autochtone ayant trafiqué des drogues à très petite échelle pour nourrir sa famille » afin d’illustrer le type de personnes à qui la mesure législative devrait permettre d’obtenir une ordonnance de sursis. De toute évidence, dans l’arrêt Sharma, la Cour suprême du Canada a conclu que, même si la situation personnelle de l’accusé doit être prise en compte, la peine doit toujours correspondre à la gravité du crime et que les limites imposées par le Parlement en 2012 au recours aux ordonnances de sursis sont constitutionnelles.

Avec le projet de loi C-5, le gouvernement militant Trudeau gruge encore plus la confiance des Canadiens à l’égard du système judiciaire. La moitié des Canadiens interrogés plus tôt cette année ont indiqué qu’ils n’avaient pas confiance dans l’équité de notre système judiciaire. L’amendement du sénateur Boisvenu vise à remédier à ce problème.

Une statistique qui m’a frappée en tant que sénatrice de la Saskatchewan, c’est que les femmes des régions rurales sont 75 % plus susceptibles d’être victimes de violence entre partenaires intimes que les femmes des régions urbaines. En fait, ma province, la Saskatchewan, affiche le taux le plus élevé de violence familiale au Canada. C’est donc une question extrêmement importante pour moi et pour ma région.

Une mesure comme le projet de loi C-5, qui abrogerait les peines minimales obligatoires pour un nombre important d’infractions graves et qui permettrait d’imposer des peines avec sursis pour d’autres, dévalorisera encore plus le système judiciaire aux yeux des Canadiens et des victimes d’actes criminels.

Au Comité sénatorial des affaires juridiques, nous avons entendu le témoignage de la directrice générale du London Abused Women’s Centre, Jennifer Dunn, à cet effet. Voici ce qu’elle nous a dit :

Le seul fait de porter plainte est d’emblée très difficile pour les femmes; lorsqu’elles le font, il faut compter des années avant d’en arriver à une condamnation, si condamnation il y a. Cette réalité leur donne l’impression que le système juridique ne les prend pas au sérieux. Pas plus tard qu’aujourd’hui, une femme que nous aidons m’a confié que lorsque les peines offrent moins de protection aux victimes, elles sont moins susceptibles de signaler les infractions. Ce revirement constituerait un réel revers pour nous.

Les crimes avec violence commis contre des femmes sont déjà parmi les moins signalés dans notre pays. Statistique Canada estime que plus de 80 % des actes de violence commis contre les filles et les femmes par un partenaire intime, un conjoint ou un parent ne sont pas signalés. Seuls 6 cas d’agression sexuelle sur 100 sont signalés à la police. La dernière chose dont ces victimes ont besoin, c’est de craindre que l’auteur de la violence à leur égard reçoive une condamnation avec sursis qui lui permettrait de réintégrer la collectivité où elles vivent ou travaillent.

Jennifer Dunn nous a parlé de l’effet paralysant que les condamnations avec sursis peuvent avoir sur les victimes de crimes :

Pour certaines infractions, la libération conditionnelle peut minimiser la gravité de l’acte criminel. Les femmes nous signalent qu’elles ont l’impression de devoir surveiller leurs arrières dans la communauté lorsque des libérations conditionnelles sont accordées. Nous devons nous rappeler que les victimes et les contrevenants habitent parfois la même communauté.

À notre centre, nous avons eu connaissance de la situation d’une femme dont le bourreau avait reçu l’ordre — parmi de nombreuses autres conditions, bien sûr — de rester à l’écart de sa propriété. L’auteur des crimes a cependant décidé d’installer une chaise de jardin dans une cour voisine pour s’y asseoir, face au domicile de la victime. Cette dernière ne pouvait rien y changer.

Les victimes d’actes criminels ne devraient pas avoir à subir ce genre d’intimidation ou de menace de la part d’un agresseur qui peut se présenter à tout moment dans leur collectivité alors qu’elles s’y croient en sécurité.

Honorables sénateurs, si le gouvernement Trudeau fait adopter le projet de loi C-5 sans l’amendement du sénateur Boisvenu, il offrira la possibilité d’une peine avec sursis aux criminels reconnus coupables d’avoir enlevé d’une personne âgée de moins de 14 ans, d’avoir tiré un avantage de la traite de personnes ou d’avoir commis une agression sexuelle. Tous ces délinquants pourraient purger leur peine à la maison. Où est la justice là-dedans? Croyez-moi, les survivantes de ce genre de crimes ne voient pas non plus où est la justice. Comment pouvons-nous nous attendre à ce que les victimes signalent les crimes dont elles ont été la cible si ces crimes ne font que se répéter?

Les victimes de violence familiale doivent déjà faire face à des obstacles à la justice au tribunal. Le projet de loi C-5 pourrait empirer le problème. Isabel Grant, professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, a écrit un article au sujet du manque d’égards du système de justice à l’endroit des femmes victimes d’agressions et de crimes du genre au moment de la détermination de la peine. Elle écrit ce qui suit au sujet des femmes victimes de harcèlement criminel :

[...] Les discours du pouvoir judiciaire peuvent aussi faire taire les femmes qui ont affaire à la justice, surtout si ces femmes ne correspondent pas à l’idée qu’on se fait de la « victime responsable ».

Comme les femmes qui ont été victimes d’un crime le savent fort bien, lorsqu’un tribunal impose des conditions à un délinquant, cela ne garantit pas que celui-ci respectera les règles. Étant donné que de nombreux cas de violence conjugale ne sont pas déclarés, il est difficile d’avoir une idée précise de la situation, mais, en ce qui concerne la violence conjugale, le refuge pour femmes Interval House estime que le taux de récidive se situe entre 39 % et 66 %. Sur son site Web, Interval House indique que les agresseurs se voient souvent imposer des peines et des sanctions moins lourdes, et on peut s’attendre à ce qu’il en soit de même pour les infractions passibles d’une peine avec sursis que le gouvernement Trudeau a incluses dans le projet de loi C-5.

Même lorsque l’on considère qu’un délinquant présente un faible risque ou ne présente aucun risque pour la collectivité et que ce délinquant est libéré à condition de ne pas entrer en contact avec la victime, nous savons qu’une ordonnance peut être violée et que cela arrive souvent.

Plus tôt ce mois-ci, dans cette enceinte, le sénateur Fabian Manning — mon ami et voisin de banquette — a prononcé un discours passionné sur son projet de loi, le projet de loi S-249, qui préconise un cadre national pour la prévention de la violence entre partenaires intimes au Canada. Il nous a présenté de nombreuses statistiques stupéfiantes sur l’ampleur de la violence familiale et la fréquence à laquelle elle se produit. Le sénateur Manning a indiqué que trois femmes sur dix qui sont victimes de violence de la part d’un partenaire intime la subissent, sous une forme ou une autre, au moins une fois par mois, voire plus souvent. En outre, une femme sur cinq qui subit de la violence sexuelle de la part de son partenaire affirme que cela lui arrive tous les mois ou plus fréquemment encore.

La violence familiale est un crime qui se répète et qui s’intensifie. Souvent, la violence s’intensifie par le voie de ce qui pourrait sembler être un comportement moins grave, qui pourrait se situer à l’extrémité moins sérieuse du comportement délinquant, à savoir les infractions mêmes qui pourraient faire l’objet d’une condamnation avec sursis dans le cadre du projet de loi C-5, comme la présence illégale dans une maison d’habitation ou le harcèlement criminel.

Prenons, par exemple, le harcèlement criminel, qui est un crime extrêmement sexospécifique. Le ministère de la Justice estime que les femmes représentent 76 % de toutes les victimes des cas de harcèlement criminel, et que les hommes représentent 78 % des agresseurs accusés. Le harcèlement criminel est un crime qui peut avoir des séquelles psychologiques profondes et dévastatrices pour les victimes, et il est souvent précurseur d’actes subséquents de plus en plus violents. Une étude a trouvé que dans 76 % des cas de féminicide et dans 85 % des cas de tentative de féminicide, les répondants avaient signalé au moins un incident de harcèlement criminel dans les 12 mois qui ont précédé l’incident violent. C’est plus que le nombre de répondants qui avaient signalé une agression physique pendant cette même période.

Les victimes de violence familiale sont souvent très vulnérables après s’être échappées d’une relation : 26 % de toutes les femmes qui ont été assassinées par un conjoint avaient quitté la relation; 60 % de la violence dans les fréquentations survient après la fin de la relation. Que le gouvernement Trudeau instaure des peines avec sursis pour ces crimes graves contre la personne, c’est dangereux. Que ces contrevenants puissent rentrer dans les communautés mêmes où habitent leurs victimes, c’est scandaleux.

Le gouvernement maintient que la suppression des peines minimales obligatoires et l’augmentation des peines d’emprisonnement avec sursis dans le cadre du projet de loi C-5 permettront de remédier à la surreprésentation des Noirs et des Autochtones dans le système carcéral. Deux des seuls témoins que nous avons entendus au comité et qui ont présenté des données réelles, Cheryl Webster, professeure de criminologie à l’Université d’Ottawa, et Dawn North, chercheuse, ont déclaré que les dispositions du projet de loi C-5 auront très peu d’effet sur la surreprésentation des Autochtones dans les prisons. De plus, Mme North a dit que les délinquants autochtones ont tendance à avoir un taux de violation plus élevé lorsqu’ils sont condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis. Cette hausse est d’autant plus inquiétante pour les femmes et les filles autochtones qui peuvent être victimes de violence par leur partenaire. Six femmes autochtones sur dix ont été victimes de violence physique ou sexuelle au cours de leur vie, et les femmes autochtones ont 61 % plus de chances d’être victimes de violence entre partenaires intimes que les femmes non autochtones. Pour les femmes autochtones qui font partie d’une minorité sexuelle, le chiffre est choquant : 83 %.

(1510)

L’accès accru aux peines avec sursis par les délinquants n’est pas un avantage pour les victimes de crimes, en particulier les femmes et les filles autochtones. Comme l’a répété Jennifer Dunn au comité :

Je l’ai affirmé à la Chambre des Communes, et je le répéterai aujourd’hui : nous devons étudier ce projet de loi sous l’angle de la violence des hommes faite aux femmes. Nous devons mettre l’accent sur les femmes, et en particulier sur les femmes marginalisées; il faut s’intéresser aux conséquences qu’elles subiront à cause de ce projet de loi et constater qu’elles n’obtiendront pas la justice qu’elles méritent.

Il n’y a pas que les victimes autochtones que le projet de loi C-5 rend vulnérables. Les statistiques concernant d’autres groupes marginalisés sont également choquantes. On estime que 83 % des femmes handicapées seront agressées à un moment ou à un autre de leur vie. Deux tiers des femmes appartenant à des minorités sexuelles ont subi des violences de la part de leur partenaire intime. Les femmes et les filles immigrées et réfugiées sont particulièrement vulnérables aux effets de la violence infligée par un partenaire intime ou un membre de la famille, compte tenu des barrières linguistiques, de l’isolement social, du manque de ressources, de l’inquiétude pour leurs enfants, des situations d’immigration précaire et des possibilités d’expulsion.

Honorables sénateurs, les statistiques sur la violence conjugale au pays brisent le cœur, mais nous devons agir, et pas seulement en parler. Publier des messages de soutien sur Twitter quelques fois par an ou prononcer un bref discours ici au sujet d’une enquête sur la violence conjugale, ce n’est pas suffisant.

Chers collègues, nous avons, ici et maintenant, l’occasion de protéger les femmes et les enfants qui se trouvent dans ces situations dangereuses et très vulnérables. Votre vote sur cet amendement peut vraiment changer les choses. Ne permettez pas que ces agresseurs rentrent dans leurs collectivités pour blesser ou peut-être même tuer ces femmes. Veuillez prendre position en votant en faveur de cet important amendement. Aidez-nous à protéger les victimes de violence familiale.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je prends la parole pour partager avec vous ma perspective à l’égard de l’amendement proposé par notre respecté collègue le sénateur Boisvenu.

Mes commentaires seront articulés autour des points suivants : premièrement, un historique en matière de sentences à purger dans la communauté; deuxièmement, l’objectif du projet de loi C-5 en cette matière; troisièmement, la portée de l’amendement proposé par le sénateur Boisvenu.

Une partie de mes commentaires est inspirée de l’arrêt le plus récent de la Cour suprême du Canada, que la cour a rendu le vendredi 4 novembre dernier dans l’affaire R. c. Sharma, un dossier auquel tant le ministre de la Justice que le sénateur Gold, ainsi que de nombreux témoins, ont fait référence lors de l’étude du projet de loi C-5 au comité.

J’utiliserai la méthode du professeur Cotter, soit celle des trois temps. Dans un premier temps, je parlerai de l’historique.

Lorsque le premier Code criminel a été adopté en 1892, le Parlement prévoyait comme peines possibles la pendaison, l’emprisonnement et les amendes et confiscations. La peine de mort a disparu en 1968. Nous avons aussi assisté à l’apparition d’autres types de peines, comme la libération sous condition — que l’on appelle aussi l’ordonnance de probation — et les peines avec sursis, qui sont des peines purgées dans la communauté, que l’on appelle en anglais conditional sentences.

[Traduction]

Les peines avec sursis ont été introduites dans une loi de 1995 intitulée Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d’autres lois en conséquence. Cette mesure législative a modifié considérablement le cadre législatif entourant la détermination de la peine, puisqu’elle a établi l’objectif et les principes de détermination de la peine et énoncé des facteurs dont les juges doivent tenir compte pour déterminer une peine adéquate.

Autrement dit, cette mesure législative a considérablement structuré le pouvoir discrétionnaire des juges en ce qui concerne la détermination de la peine. À l’heure actuelle, le pouvoir discrétionnaire des juges est structuré, ou même limité, par de nombreuses dispositions du Code criminel, qui commencent à l’article 718.

Le principe qui nous intéresse particulièrement aux fins de l’étude de l’amendement proposé est énoncé à l’article 718.2e) du Code criminel. Selon cet article, il faut examiner toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité.

Selon la loi de 1995, un délinquant n’est pas admissible à une peine avec sursis dans certaines circonstances. Il n’y est pas admissible, premièrement, si une peine minimale d’emprisonnement — ce qu’on appelle une peine minimale obligatoire — est prévue pour l’infraction; deuxièmement, si la Cour envisage d’imposer une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus; troisièmement, si une peine avec sursis risque de mettre en danger la sécurité de la victime ou de la collectivité; et quatrièmement, dans les cas où la peine avec sursis serait contraire aux principes et aux objectifs fondamentaux encadrant la détermination de la peine. Ce sont les quatre types d’exclusions qui rendent une peine avec sursis impossible.

En promulguant cette nouvelle loi en 1995, le Parlement voulait surtout réduire l’utilisation des peines d’emprisonnement dans les cas admissibles et répondre à des objectifs à la fois de punition et de réhabilitation, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans Proulx, un jugement rendu en janvier 2000, qui est le jugement le plus célèbre sur les condamnations avec sursis.

En 2007, le Parlement a adopté un projet de loi du gouvernement visant à exclure la possibilité pour un juge d’imposer une peine avec sursis aux personnes reconnues coupables de sévices graves à la personne, d’activité terroriste ou de participation aux activités d’une organisation criminelle, qui ont fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation, infractions pour lesquelles la peine d’emprisonnement maximale est de 10 ans ou plus. En d’autres termes, même s’il n’y avait pas de peine minimale obligatoire applicable pour ces infractions et si, selon le juge qui prononce la peine, une peine inférieure à deux ans était appropriée, cela n’était pas possible. L’emprisonnement était la seule solution.

En 2012, le Parlement a adopté un autre projet de loi intitulé Loi sur la sécurité des rues et des communautés, dans le but d’exclure la possibilité de peines avec sursis pour une longue liste d’infractions supplémentaires. Premièrement, cette liste comprenait toutes les infractions poursuivies par mise en accusation pour lesquelles la peine d’emprisonnement maximale est de 14 ans ou à perpétuité. Deuxièmement, la liste comprenait des catégories d’infractions poursuivies par voie de mise en accusation pour lesquelles la peine maximale d’emprisonnement était de 10 ans et qui, un, entraînent des lésions corporelles; deux, mettent en cause l’importation, l’exportation, le trafic ou la production de drogues; ou trois, mettent en cause l’usage d’une arme. Ces catégories d’infractions se trouvent à l’alinéa e) de l’actuel article 742.1 du Code criminel. Troisièmement, 11 infractions spécifiques font l’objet de poursuites par mise en accusation : bris de prison, harcèlement criminel, agression sexuelle, enlèvement, traite de personnes en vue d’en tirer un avantage matériel, enlèvement d’une personne âgée de moins de 14 ans, vol de véhicule à moteur, vol de plus de 5 000 $, introduction par effraction dans un endroit autre qu’une maison d’habitation, présence illégale dans une maison d’habitation et incendie criminel à des fins frauduleuses. Ces 11 infractions spécifiques se trouvent à l’alinéa f) de l’actuel article 742.1 du Code criminel.

Le projet de loi C-5 propose de supprimer les alinéas e) et f). Cela signifie l’élargissement du pouvoir discrétionnaire des juges en matière de détermination de la peine relativement aux infractions que je viens d’énoncer, y compris toutes les infractions liées aux drogues en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, dont bon nombre ont été déclarées inconstitutionnelles.

Cela signifie qu’on pourra de nouveau recourir aux ordonnances de sursis pour ces catégories d’infractions, premièrement, si le juge estime qu’un délinquant mérite une peine d’emprisonnement de moins de deux ans parce que l’infraction commise n’est pas de la plus grande gravité; deuxièmement, si le juge estime que le délinquant ne présente aucun danger pour la population ou sa victime; et troisièmement, si le juge estime que l’imposition d’une telle ordonnance serait conforme à tous les principes de détermination de la peine, y compris la prise en considération de toutes les sanctions possibles qui puissent convenir autres que l’emprisonnement, surtout dans le cas de délinquants autochtones, ce qui nécessite l’application des principes de l’arrêt Gladue.

(1520)

Le gouvernement actuel a pris une décision d’ordre politique, ce qui est parfaitement légitime. Dans sa décision rendue récemment dans l’affaire Sharma, à laquelle la sénatrice Batters a fait référence, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

Le Parlement a le pouvoir exclusif de légiférer pour élaborer une politique en matière de détermination de la peine. Il n’existe pas de droit constitutionnel à une peine particulière, y compris à l’emprisonnement avec sursis [...] Le Parlement n’avait aucune obligation positive de créer le régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement. Notre Cour a déclaré, dans l’arrêt Proulx, que le Parlement « aurait pu facilement exclure certaines autres infractions » du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement lorsque celui-ci est entré en vigueur en 1996 [...] Il a choisi de le faire plus tard, tout comme il peut choisir de le faire dans le futur. Il s’agit là d’une caractéristique inhérente du rôle du Parlement, lequel est guidé dans ses décisions par l’expérience et par la volonté des électeurs.

Le sénateur Boisvenu s’oppose à l’élargissement du pouvoir discrétionnaire des juges, comme le propose le projet de loi C-5, en ce qui concerne la détermination de la peine. En effet, il préconise de revenir aux politiques de 2012 du gouvernement Harper, auxquelles la sénatrice Batters a fait référence.

[Français]

Ainsi, le sénateur propose, dans la lignée de la loi de 2012, d’exclure toute possibilité d’une sentence à purger dans la communauté à l’égard d’une liste comprenant neuf infractions spécifiques qui deviendraient le nouvel alinéa e) de l’article 748.2 du Code criminel. Je souligne que cette liste est plus courte que celle de 2012, puisque le sénateur ne propose pas de conserver les infractions suivantes : les actes de violence ou de bris dans le but de s’évader d’une prison, le vol d’un véhicule à moteur, le vol de plus de 5 000 $, l’introduction par effraction dans un dessein criminel dans un endroit autre qu’une maison d’habitation et l’incendie criminel dans le but de frauder.

Ce faisant, il laisse tomber quatre types d’infractions décrits en 2012 comme étant de graves crimes contre la propriété, qui justifiaient l’interdiction de sentences à purger dans la communauté. Je prends note de cette évolution.

Comme il l’a dit en réponse à une de mes questions, il a choisi de se concentrer sur les infractions contre les personnes. Voilà pourquoi on retrouve dans la liste proposée deux nouvelles infractions par rapport à la loi de 2012, soit le fait de causer des lésions corporelles par négligence criminelle et l’agression armée ou l’infliction de lésions corporelles à un agent de la paix. Je souligne, d’une part, que mes recherches n’ont révélé que très peu de décisions judiciaires à l’égard de l’une ou l’autre de ces infractions; elles ne semblent donc pas utilisées. J’ajoute que je n’ai entendu aucun témoin ou lu aucun mémoire qui suggérait d’ajouter ces infractions à la liste des causes qui interdiraient le recours à l’emprisonnement dans la communauté.

Dans le discours qui a mené à l’amendement proposé, le sénateur Boisvenu a fait référence à plusieurs reprises à la violence contre les personnes, en particulier les femmes et les enfants, afin de justifier les autres éléments faisant partie de sa liste. Il a mentionné notamment qu’il était tout à fait inacceptable qu’un homme condamné pour avoir exercé de la violence contre une conjointe puisse purger sa peine dans la communauté.

Je suis d’accord avec lui dans le cas d’un récidiviste, et je crois qu’en pareil cas, les juges ne considéreront même pas de condamner le délinquant à une peine de moins de deux ans. J’ajoute qu’une peine avec sursis est seulement possible si le juge est d’avis qu’il n’y a pas de risque pour la victime ou la communauté s’il impose ce type de sentence. Malheureusement, ces critères essentiels à une sentence avec sursis n’ont pas été évoqués par la sénatrice Batters dans son discours.

De plus, au Québec, dans le contexte d’une peine à purger dans la communauté, les juges peuvent imposer le port d’un bracelet antirapprochement si la victime accepte d’avoir un dispositif correspondant installé sur son cellulaire. Si j’en crois les propos de la sénatrice Batters il y a deux semaines, je comprends que cela se fait aussi en Saskatchewan et dans d’autres provinces.

Le sénateur Boisvenu a aussi mentionné que, selon des chiffres datant de 2010 qu’il a obtenus auprès du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (CSN), 40 % des personnes purgeant une peine dans la communauté ne respecteraient pas les conditions imposées par le Code criminel et les juges. Malheureusement, nous n’avons entendu aucun témoin faire de telles affirmations ni reçu de documents ou de données probantes à cet effet. De plus, nous n’avons aucune information sur la nature des défauts allégués, dont la gravité doit être variable, à mon avis.

Enfin, je rappelle qu’une peine à purger dans la communauté ne peut être imposée qu’à un délinquant pour lequel le juge considère que la peine appropriée est un emprisonnement d’une durée de quelques jours à deux ans; en d’autres mots, on parle d’un délinquant confié aux services correctionnels provinciaux. L’amendement proposé revient à dire que nous augmenterons automatiquement le nombre de détenus dans les prisons provinciales. Selon moi, une telle conséquence ne saurait être imposée aux provinces unilatéralement, sans les avoir consultées et sans leur avoir donné la possibilité d’exprimer leur opinion sur un tel amendement au comité. En tant que sénateurs qui représentent les régions, nous nous devons de consulter les provinces avant de leur imposer un important fardeau financier.

En conclusion, il me semble que cet amendement doit être rejeté. Ce fut d’ailleurs le cas au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, par un vote nominal de neuf contre quatre. Je vous remercie de votre attention. Meegwetch.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs et sénatrices, je veux d’abord remercier l’honorable sénateur Boisvenu de son amendement, qui découle clairement de ses préoccupations profondes pour le bien‑être des victimes d’actes criminels, notamment les victimes de violence fondée sur le sexe. Toutefois, le gouvernement s’y oppose, car il limiterait la discrétion judiciaire dans la détermination de la peine, alors que l’objectif du projet de loi C-5 est de l’élargir.

Au comité, la majorité des témoins étaient favorables à ce que l’on augmente la capacité des juges de tenir compte des circonstances particulières de l’individu et de l’infraction commise. En fait, plusieurs souhaitaient que ce projet de loi aille encore plus loin en ce sens.

[Traduction]

Nous convenons tout à fait que les comportements criminels graves doivent être assortis de sanctions graves. Au titre du projet de loi C-5, les infractions énumérées dans l’amendement proposé continueront de donner lieu à une peine d’emprisonnement presque dans tous les cas. Le projet de loi donne simplement aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer des peines avec sursis pour ces infractions dans ce qui s’avérera probablement des cas rares et exceptionnels.

La pouvoir discrétionnaire des juges est particulièrement important lorsque la description de l’infraction englobe un large éventail de circonstances et divers degrés de culpabilité. Par exemple, l’amendement proposé cherche à interdire l’octroi d’une peine avec sursis pour les infractions « présence illégale dans une maison d’habitation » et « causer des lésions corporelles par négligence criminelle ».

Je suis convaincu que dans bien des cas, l’auteur de ces infractions méritera et recevra une peine sévère. Toutefois, il pourrait y avoir des cas où il serait approprié que le juge dispose d’une certaine marge de manœuvre. En effet, lorsqu’elle a pris la parole au sujet de cette proposition d’amendement, la sénatrice Simons a donné de multiples exemples de tels scénarios.

Comme l’a si bien expliqué le sénateur Dalphond, le Code criminel n’autorise les ordonnances de sursis que pour les peines de moins de deux ans et que pour les personnes qui ne posent ni danger pour la sécurité publique ni risque pour la victime. Cela dit, on pourrait avoir envie de dire qu’il faut emprisonner toutes les personnes qui commettent ce genre d’infraction, juste au cas, car il est possible qu’un juge se trompe lorsqu’il évalue si une personne représente une menace.

Or, chers collègues, la surincarcération engendre elle aussi des risques pour la sécurité publique.

[Français]

Quand on sépare inutilement les gens de leurs proches, de leur emploi, de leur réseau de soutien social, quand on interrompt leur éducation, quand on les envoie loin de leur environnement habituel, quand on place leurs enfants dans des familles d’accueil, tout cela peut contribuer à créer des foyers et des collectivités instables, ce qui augmente à la fois le risque de récidive et la probabilité que la prochaine génération se retrouve, elle aussi, en conflit avec la loi.

À long terme, chers collègues, nos collectivités sont plus sûres lorsque les gens dangereux vont en prison et que ceux qui peuvent rester dans leur collectivité en toute sécurité ne sont pas emprisonnés inutilement. Il est donc dans l’intérêt de la sécurité publique que le gouvernement s’oppose à cet amendement. J’invite tous les sénateurs à en faire autant. Merci de votre attention.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?

(1530)

Le sénateur Gold : Bien sûr.

La sénatrice Batters : Sénateur Gold, vous avez fait référence à certains des exemples donnés par la sénatrice Simons au sujet des situations pour lesquelles elle considérait qu’une peine avec sursis est acceptable. Quels sont les exemples donnés par la sénatrice que vous trouveriez acceptables en ce qui concerne la possibilité d’une peine avec sursis?

Le sénateur Gold : Merci de votre question. Je ne répéterai pas les critères établis dans le Code criminel, qui prévoient de façon bien claire que l’infraction doit en être une pour laquelle un juge n’imposerait pas de peine de deux ans ou plus, qu’il ne doit pas y avoir de risque pour la victime et qu’il ne doit pas y avoir de risque pour la société en vertu des principes relatifs à la détermination de la peine. Ce genre de décision est donc prise au cas par cas, en fonction des circonstances.

Prenons l’exemple de l’enlèvement, si vous le permettez. Il s’agit d’un crime horrible : enlever une personne, la retenir contre son gré, l’enfermer et lui faire subir tous les horribles sévices qui, malheureusement, n’arrivent pas seulement à la télévision, mais aussi dans la réalité — d’horribles sévices. Or, techniquement, ce genre de situation peut aussi survenir si on bloque une sortie au plus fort d’une dispute ou dans le cas d’une farce qui aurait mal tourné. D’ailleurs, ce genre de situation survient malheureusement, et parfois tragiquement, au moment d’une dispute au sujet de la garde d’un enfant ou de la façon de s’en occuper.

En réponse à votre question, sénatrice Batters, je répète, chers collègues, que la prise en compte de l’ensemble des circonstances est à la discrétion du juge, mais, légalement, ce dernier ne peut rendre une ordonnance de peine avec sursis s’il existe un risque pour la collectivité ou pour la victime ou si cela va à l’encontre des objectifs du droit pénal. C’est pourquoi je considère que nous devrions appuyer le projet de loi et rejeter l’amendement à l’étude.

La sénatrice Batters : Sénateur Gold, je cherche à obtenir des exemples précis. Puisque vous avez mentionné l’enlèvement et que vous avez fait référence à certains types de situations, pensez-vous vraiment que celles-ci pourraient donner lieu à une accusation d’enlèvement? En effet, non seulement la police a un pouvoir discrétionnaire, mais c’est également le cas des procureurs et des juges pour ce qui est de déterminer les chefs d’accusation et les peines. Le fait de bloquer une porte de sortie, ou une autre situation de ce genre, pourrait-il, selon vous, donner lieu à une accusation d’enlèvement?

En ce qui concerne les situations liées à la garde des enfants, il va de soi qu’elles peuvent également être extrêmement préjudiciables. Nous en avons vécu un exemple il y a quelques mois en Saskatchewan, dans lequel la mère n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvait son enfant pendant des mois. Ne pensez-vous pas qu’un individu accusé d’enlèvement ne devrait surtout pas être admissible à une ordonnance de sursis?

Le sénateur Gold : Avec tout le respect que je vous dois, je ne crois pas. Les décisions de porter ou non des accusations sont prises dans le cadre d’un processus auquel participent la police, les procureurs et d’autres intervenants. Le ou la juge joue un rôle important à l’étape de la détermination de la peine. Le projet de loi C-5 rendrait aux juges le pouvoir discrétionnaire qui leur a été enlevé afin de leur permettre d’évaluer l’ensemble des faits, la nature et les motifs de l’accusation. C’est en raison des rares cas où il serait injuste et contraire à l’intérêt de la sécurité publique de condamner quelqu’un à purger une peine d’emprisonnement que les ordonnances de sursis sont dans l’intérêt de la sécurité publique.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’amendement proposé par le sénateur Boisvenu. À mon avis, cet amendement témoigne d’une réflexion approfondie et d’un examen minutieux des modifications proposées, modifications pour lesquelles nous n’avons toujours pas obtenu d’explications ni de justifications.

D’entrée de jeu, je tiens à féliciter le sénateur Boisvenu pour son dévouement continu envers sa quête de justice, autant dans cette enceinte qu’à l’extérieur de celle-ci. Au chapitre de la protection des victimes de crime, le sénateur Boisvenu veille toujours à ce que rien ne passe entre les mailles du filet. Sa passion, sa ténacité et sa perspicacité font du Canada un meilleur pays.

Chers collègues, le projet de loi C-5 propose de mettre fin à un certain nombre de peines minimales obligatoires pour des infractions graves. Le bien-fondé des peines minimales obligatoires et le rôle du Parlement à l’égard des paramètres de détermination de la peine ont fait l’objet de débats soutenus. Toutefois, bien que je croie personnellement qu’il est approprié, voire responsable, que le Parlement détermine des peines minimales obligatoires pour des infractions ayant une incidence sur la sécurité publique, je reconnais que d’autres personnes ne partagent pas mon opinion et estiment que des dispositions de ce genre constituent un empiétement sur le pouvoir discrétionnaire des juges. Sur ce point, je crois que des personnes raisonnables peuvent être en désaccord. Cependant, l’amendement du sénateur Boisvenu vise à remédier à un problème qui a été soulevé par les personnes qui sont les plus au courant de la réalité de la violence conjugale et sexuelle et par les personnes qui en sont affectées.

Le projet de loi C-5 propose qu’on puisse recourir davantage aux ordonnances de sursis, notamment en ordonnant la détention à domicile, pour un certain nombre d’infractions lorsque le délinquant doit purger une peine d’emprisonnement de moins de deux ans. Les infractions visées comprennent les agressions sexuelles, les enlèvements, la traite des personnes, les agressions armées et d’autres encore. Des groupes qui défendent les femmes et les victimes — et qui savent donc d’expérience ce qui peut se passer réellement après la libération d’un délinquant — ont fait part d’une lacune flagrante dans cette proposition. En effet, dans sa version actuelle, le projet de loi C-5 permettrait à un délinquant violent de purger sa peine de détention à domicile dans la collectivité où habite sa victime. Comme on l’a dit, le délinquant pourrait être assis dans une chaise de jardin, de l’autre côté de la rue.

Comme c’est une nouvelle proposition, nous n’avons pas de données sur le respect des ordonnances de sursis pour ces infractions violentes en particulier. Cependant, le sénateur Boisvenu a fourni des données révélant un taux de manquement de 44 % en ce qui concerne les ordonnances de sursis actuelles. Nous avons aussi des données indiquant une hausse marquée des crimes contre la personne, ce qui comprend plus précisément les cas de violence familiale, de harcèlement criminel, d’agression sexuelle et de traite des personnes. Le Comité sénatorial des affaires juridiques a entendu des témoignages sur ce que des personnes ayant survécu à des agressions ont vécu lorsque leur agresseur a été libéré sous condition. Le comité a entendu parler de cas d’intimidation, de non-respect des conditions et d’un sentiment général d’insécurité chez les victimes d’agression. Voilà autant de problèmes qui ne feraient que s’aggraver si on devait recourir davantage aux ordonnances de sursis.

Chers collègues, même si nous appuyons tous l’objectif de la réadaptation, nous savons aussi que les comportements passés sont le meilleur indicateur des comportements futurs. Une ordonnance de sursis ne prévoit absolument rien qui protégerait les femmes d’une future attaque violente.

J’ai souligné cet aspect au ministre de la Justice, M. Lametti, lorsqu’il est venu au Sénat pour participer à la période des questions. Malheureusement, sa réponse, comme dans la majorité des cas ce jour-là, n’a fourni aucune explication et n’a pas rassuré les sceptiques. Dans ma question, j’ai souligné le témoignage de Jennifer Dunn du London Abused Women’s Centre devant le Comité de la justice de la Chambre des communes. Elle a dit ce qui suit :

Les femmes et les filles sont cinq fois plus susceptibles que les hommes d’être victimes d’une agression sexuelle, un crime violent en hausse au Canada. Avec l’ordonnance de sursis, de nombreuses femmes seront coincées dans la collectivité avec le délinquant, ce qui les expose à un risque encore plus élevé.

J’ai demandé au ministre, compte tenu de l’augmentation des cas, quel message cette mesure législative envoie aux victimes d’agressions sexuelles en étant plus indulgente envers les délinquants sexuels. Il m’a répondu ceci : « Il ne fait aucun doute que les crimes graves seront toujours assortis de peines sévères [...] »

Nous savons tous que, dans les faits, ce n’est pas le cas, même avec la loi actuelle. Nous pouvons tous nommer des exemples de crimes odieux qui ont entraîné des peines d’une légèreté scandaleuse, ce qui a provoqué l’indignation publique. Cependant, compte tenu de la réponse du ministre, je dois poser la question suivante : quelle agression sexuelle pourrait ne pas être considérée comme un crime grave? Personne n’a répondu à cette question : ni le ministre, ni ses collaborateurs, ni le parrain du projet de loi.

(1540)

La sénatrice Simons a bien essayé d’établir une distinction entre un viol et une forme d’agression sexuelle qu’elle considère comme étant moins grave. Toutefois, il y a une raison qui explique pourquoi la portée de l’infraction d’agression sexuelle est large et englobe un éventail de comportements. C’est parce que, comme le souligne la Cour suprême, l’agression sexuelle porte atteinte à « l’intégrité sexuelle de la victime ».

C’est grave, honorables collègues. Certains sénateurs trouvent peut-être cela amusant, mais l’agression sexuelle, sous toutes ses formes, peut causer des traumatismes graves et durables aux victimes. Nos lois doivent donc continuer à condamner toutes les formes d’agressions sexuelles.

Chers collègues, nous devons nous demander une chose. Quel problème précis cherche-t-on à résoudre avec cet élargissement des peines avec sursis? Certains ont invoqué la surreprésentation des Autochtones dans les prisons pour justifier cette mesure. Cependant, sur ce point, le comité n’a reçu aucune preuve concrète indiquant que l’élargissement des peines d’emprisonnement avec sursis aurait un effet sur le taux d’incarcération des Autochtones. En fait, Cheryl Webster, professeure de criminologie à l’Université d’Ottawa, et Dawn North, titulaire d’un doctorat, ont parlé de cette fausse impression dans leurs témoignages. Bien qu’elles soutiennent de tout cœur l’objectif annoncé de réduire l’incarcération des Autochtones, elles ont averti que les données ainsi que de multiples évaluations ultérieures montrent en fait que l’élargissement de l’admissibilité à des peines avec sursis comme solution alternative à l’incarcération n’a aucun effet significatif sur les taux d’incarcération des Autochtones.

Mme North a notamment déclaré : « [...] on a peu de raisons de croire que la sanction contribuera désormais à une réduction marquée des emprisonnements, surtout chez les Autochtones. »

Mme North explique d’ailleurs la situation en détail :

D’après les recherches, même lorsque les ordonnances de sursis étaient facilement accessibles, les populations ou les délinquants autochtones n’en bénéficiaient pas de façon proportionnelle. Dans certains cas, ils en bénéficiaient, mais pas dans la même proportion que les autres délinquants. Certaines données laissent aussi entendre que les délinquants autochtones ont tendance à afficher des taux de manquement plus élevés, même lorsqu’ils obtiennent une peine avec sursis. Voilà qui devient, bien sûr, un problème puisque l’emprisonnement pour inobservation des conditions influe sur les taux d’incarcération en général.

Chers collègues, si la réduction des taux d’incarcération des Autochtones est la raison d’être de cet élargissement, elle n’est pas fondée sur des données probantes et, selon les chercheurs, elle pourrait en fait avoir l’effet inverse lorsque les taux de manquement sont pris en compte.

C’est sans parler du fait que les données montrent clairement que les femmes autochtones courent un plus grand risque d’être victimes de violence conjugale et sexuelle. En fait, chers collègues, plus de 4 femmes autochtones sur 10, soit 43 %, ont été victimes de violence sexuelle au cours de leur vie. Quel avantage une Autochtone qui a survécu à des agressions pourrait-elle bien tirer du fait que son agresseur purge sa peine dans la même communauté qu’elle, voire de l’autre côté de la rue?

Dans ma question complémentaire au ministre Lametti, je lui ai demandé quel effet il croyait que cela aurait sur la probabilité qu’une victime se manifeste, puisqu’on estime que les agressions sexuelles sont le crime le moins signalé au Canada. Le ministre n’a pas daigné répondre à la question. Il a plutôt profité de l’occasion pour vanter le bilan de son gouvernement en matière d’aide aux victimes d’actes criminels. C’est toute une réplique de la part du ministre qui a repoussé la nomination d’un ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels pendant 361 jours, ce qui signifie les projets de loi ayant une incidence sur les victimes qui ont été adoptés pendant un an n’ont pas subi cet examen critique. D’ailleurs, il aurait été utile de soumettre ce projet de loi à un tel examen pendant que nous étudions ses retombées sur les victimes.

Le ministre n’avait pas la réponse, mais ceux qui travaillent avec les victimes de violence sexuelle savent exactement ce qui est en jeu. Lorsque Jennifer Dunn a été interrogée à ce sujet au Comité sénatorial des affaires juridiques, elle a indiqué qu’une victime prise en charge par son centre le jour même de son témoignage a déclaré sans équivoque qu’une protection inférieure dans la détermination de la peine fait en sorte que moins de femmes se manifestent, ce qui constituerait un véritable recul dans la lutte contre les agressions sexuelles.

En présentant cet amendement, le sénateur Boisvenu a soigneusement choisi les infractions qui correspondent le plus à la violence conjugale et familiale, pour lesquelles une détention à domicile dans la collectivité poserait le plus grand risque pour les victimes.

Au Comité des affaires juridiques, certains sénateurs ont fait remarquer que les avocats de la défense en droit criminel souhaitent que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible, en particulier pour l’élargissement des ordonnances de sursis, aussi imparfaites soient-elles, ont-ils dit, parce que leurs clients actuels pourraient en bénéficier.

Chers collègues, je soutiens que ce n’est pas une considération dont nous devons nous préoccuper. Il ne nous appartient pas de veiller à ce que les avocats de la défense puissent garantir un meilleur résultat à leurs clients. Je reconnais le rôle important que joue la défense dans un procès juste et équitable. Cependant, j’ai du mal à croire que de nombreux sénateurs se précipitent pour adopter une loi imparfaite qui bénéficierait à la Couronne en garantissant une peine plus sévère pour le délinquant.

Plutôt que de s’inquiéter de savoir à quel côté du tribunal profite le projet de loi, écoutons plutôt les victimes dont l’expérience permet de comprendre les répercussions réelles de cet élargissement de l’admissibilité.

Une victime de mauvais traitements prise en charge par le London Abused Women’s Centre a déclaré :

[...] [On a] l’impression qu’on se concentre sur les hommes à la source du problème sans écouter les femmes — les victimes — qui font les frais des crimes.

Chers collègues, la proposition d’élargir l’admissibilité à la peine avec sursis aux auteurs de crimes violent est malavisée. Aucune donnée ne permet de penser que cela aura une incidence sur l’incarcération excessive des personnes autochtones. Pourtant, cette proposition aura certainement une incidence sur la sécurité des personnes survivantes de violence, une catégorie dans laquelle les femmes autochtones sont également tragiquement surreprésentées.

Veuillez considérer, chers collègues, ce qui est en jeu pour toutes les victimes d’agressions sexuelles. Soucions-nous des victimes — et non des auteurs — de la violence sexuelle et de tous les autres crimes violents. Écoutons ce que les victimes nous demandent et soutenons cet amendement très réfléchi.

Merci, chers collègues.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Plett, le sénateur Dalphond a une question. Acceptez-vous d’y répondre?

Le sénateur Plett : Certainement.

Le sénateur Dalphond : Merci d’avoir expliqué votre point de vue sur cette question. Je crois que vous avez raison. La Cour suprême a clairement fait comprendre que des décisions politiques doivent être prises à l’égard de cette question.

Vous dites que la mise en liberté sous condition ne devrait pas être imposée pour protéger les victimes, mais nous parlons d’infractions moins graves qui sont assorties de peines de moins de deux ans.

Estimez-vous qu’un contrevenant à qui un juge a infligé une peine de trois mois, une sentence appropriée selon tous les principes juridiques et d’après une analyse au cas par cas effectuée par le juge, devrait purger sa peine en prison? Après trois mois, qu’adviendra-t-il? Après sa libération, ce contrevenant pourrait retourner vivre dans le même quartier que la victime.

Que proposez-vous, que la loi soit modifiée afin que le contrevenant soit obligé d’aller vivre dans une autre ville? Je vous prie de m’expliquer votre pensée. Je comprends la situation de la victime et son droit d’être protégée, mais vous croyez que l’ordonnance de sursis est imposée? Je ne suis pas de cet avis. Après trois mois, que feriez-vous?

(1550)

Le sénateur Plett : Sénateur Dalphond, je ne suis pas certain de bien comprendre la question.

Selon moi, une personne qui commet une agression sexuelle doit être incarcérée, un point c’est tout. Le juge peut utiliser son pouvoir discrétionnaire pour voir quelle devrait être la peine minimale et pour imposer cette peine. En tant que parlementaires, nous avons une obligation en ce sens; il faut éviter qu’un juge qui passe une mauvaise journée laisse cette mauvaise journée influencer sa décision. Il faut avoir des règles établies. Il y a des règles établies. Vous avez fait allusion à ce qu’a dit le sénateur Boisvenu à propos de 2012 et au fait qu’il faisait partie d’un gouvernement différent. En effet, le gouvernement en question a instauré des peines qui étaient considérées comme de bonnes peines minimales obligatoires.

Je ne vois pas ce qui pourrait vous faire penser que j’ai changé d’avis à ce sujet. Si une personne a commis une infraction sexuelle à l’endroit d’une personne que je connais, d’une femme ou d’une jeune fille que je connais, je ne veux vraiment pas que l’auteur de cette infraction vive à proximité de sa victime. Il faut tenir ce délinquant à l’écart le plus longtemps possible, c’est ce qu’il y a de mieux. J’en suis convaincu.

Le sénateur Dalphond : Ne croyez-vous pas que le véritable problème soit la cause profonde de cette violence et que la véritable solution soit de remédier à la cause première de cette violence? Que l’emprisonnement n’est pas la solution? Que trois mois ou trois semaines en prison ne changeront pas la personne? Que le juge doit imposer à la personne la condition qu’elle suive une thérapie, qu’elle suive une formation pour mieux comprendre sa réaction et qu’elle porte un bracelet qui signalera sa proximité à la victime? Ne croyez-vous pas que trois semaines en prison soient insuffisantes pour protéger la victime? Il existe d’autres solutions; nous devons régler les causes profondes. Dire qu’une personne doit passer trois semaines en prison parce qu’elle a fait une chose qui justifie l’emprisonnement est peut-être sensationnaliste, mais est-ce réellement la solution?

Le sénateur Plett : Sénateur Dalphond, en toute honnêteté, nous sommes en train de débattre ici. Ce n’est pas une question. Vous avez entendu mon discours. Vous savez quelle est ma réponse. Oui, je crois que si une personne a commis une agression sexuelle, alors cette personne doit être punie en conséquence.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Convoquez les sénateurs pour un vote à 16 h 53.

(1650)

La motion d’amendement de l’honorable sénateur Boisvenu, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Mockler
Batters Oh
Black Patterson
Carignan Plett
Dagenais Quinn
Downe Richards
Housakos Seidman
MacDonald Smith
Manning Tannas
Marshall Wallin—21
Martin

CONTRE
Les honorables sénateurs

Bellemare Gold
Boehm Harder
Boniface Hartling
Busson Jaffer
Campbell Klyne
Christmas Kutcher
Clement LaBoucane-Benson
Cordy Loffreda
Cormier Marwah
Cotter Massicotte
Dalphond McPhedran
Dasko Miville-Dechêne
Dawson Moncion
Deacon (Nouvelle-Écosse) Moodie
Deacon (Ontario) Omidvar
Dean Pate
Duncan Petitclerc
Dupuis Ringuette
Francis Saint-Germain
Gagné Simons
Gerba Sorensen
Gignac Woo—44

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Gagné, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi C-5. Je remercie le sénateur Gold d’avoir habilement parrainé le projet de loi.

Malheureusement, le projet de loi C-5, tel qu’il est rédigé, est loin de permettre d’atteindre les objectifs énoncés par le sénateur Gold. La bonne nouvelle, cependant, honorables sénateurs, c’est que nous avons la possibilité de corriger cette situation. En effet, en tant que sénateurs, nous avons la responsabilité d’amender ce projet de loi afin de rendre aux juges leur pouvoir discrétionnaire et ainsi contribuer à prévenir les peines injustes et inefficaces.

Le projet de loi C-5 reconnaît à juste titre que les peines minimales obligatoires entraînent des peines injustes, en particulier pour les membres de groupes racialisés. Pourtant, il ne vise qu’à abroger 20 peines minimales obligatoires, ce qui représente moins du tiers des peines minimales obligatoires actuellement en vigueur. Par ailleurs, le projet de loi ne couvre qu’une fraction — 10 sur 44 — des peines minimales obligatoires qui ont déjà été déclarées inconstitutionnelles et considérées comme des peines cruelles et inusitées par les tribunaux de divers provinces et territoires.

Le projet de loi C-5 ne permettra pas d’atteindre l’objectif du gouvernement, qui consiste à réduire le nombre de Noirs ou d’Autochtones incarcérés dans les prisons fédérales, et il ne réduira certainement pas le nombre de détenues autochtones. En n’abrogeant que certaines peines minimales obligatoires, le gouvernement est loin de respecter son engagement à favoriser la réconciliation et à mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Après avoir promis aux Canadiens d’aller plus loin, le gouvernement prétend maintenant que le projet de loi C-5 est ce qu’il peut faire de mieux à l’heure actuelle — mais est-ce bien le cas?

(1700)

Je ne le pense pas. Les faits demeurent irréfutables : les peines minimales obligatoires engendrent et perpétuent les inégalités et l’incarcération de masse.

Le gouvernement prétend qu’il ne peut pas en faire plus pour le moment, mais il n’a présenté aucun plan de suivi ni d’autres étapes concrètes en vue d’honorer les promesses qu’il a faites aux électeurs. Le gouvernement n’a donné absolument aucune justification de son approche fragmentaire visant à éliminer les peines minimales obligatoires pour certaines infractions mais pas pour d’autres, et ayant pour effet de conserver un ensemble disparate de peines incohérentes dans l’ensemble du pays. Le projet de loi C-5 reflète la crainte du gouvernement d’être qualifié de — tenez-vous bien — « laxiste en matière de criminalité ». Le gouvernement craint que la suppression de certaines peines minimales obligatoires soit interprétée à tort par certains comme un signe d’indulgence ou d’une volonté de décriminalisation totale, plutôt que comme un moyen concret de permettre aux juges de faire simplement leur travail et d’imposer des peines équitables dans un nombre très limité de cas, et absolument pas dans la majorité ou la totalité de ceux-ci.

En 1952, la Commission royale pour la révision du Code criminel a conclu que toutes les peines minimales obligatoires devaient être abolies. Pendant sept décennies, d’innombrables experts ont milité pour l’abrogation des peines minimales obligatoires. La Commission de vérité et réconciliation, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les commissions s’étant penché sur la réforme du droit et la détermination de la peine, la Cour suprême du Canada ainsi que nos propres comités sénatoriaux des affaires juridiques et des droits de la personne nous ont recommandé de réparer les torts causés par les peines minimales obligatoires.

Un sondage effectué en 2017 par le ministère de la Justice indique que 9 Canadiens sur 10 appuient l’idée du gouvernement d’offrir aux juges la souplesse de ne pas imposer de peines minimales obligatoires. En 1999, dans l’arrêt Gladue, la Cour suprême du Canada a déclaré que la surreprésentation des Autochtones dans les prisons était une crise nationale. À l’époque, les Autochtones représentaient 10,6 % de la population carcérale fédérale du pays. Aujourd’hui, ils en représentent 32 %. Honorables sénateurs, si on qualifiait déjà cette situation de crise en 1999, comment diable peut-on la qualifier maintenant? Je dirais que c’est une déplorable catastrophe, et que nous devons éviter qu’elle prenne de l’ampleur.

Cela s’applique principalement aux femmes noires et autochtones. Quand j’ai été nommée au Sénat il y a six ans jour pour jour, les femmes autochtones représentaient environ 32 % de la population carcérale fédérale. Cette année, elles comptent pour la moitié des femmes détenues dans les pénitenciers fédéraux. Quant aux Noires, elles représentent 10 % des femmes purgeant une peine fédérale. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-5 contribuera certainement à une augmentation de la criminalisation et de l’incarcération des femmes noires et autochtones, qui verront les services de protection de l’enfance leur retirer plus souvent la garde de leurs enfants.

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a mis en évidence le fait que les problèmes qui font que les femmes autochtones risquent davantage de disparaître, d’être enlevées, d’être assassinées ou de devenir itinérantes et démunies sont les mêmes qui font qu’elles représentent la population carcérale connaissant la plus forte croissance au pays — 50 % des femmes ayant reçu une peine de deux ans ou plus et plus de 75 % des femmes qui purgent une peine de moins de deux années dans la plupart des provinces de l’Ouest. En outre, en Saskatchewan, au Manitoba et dans le Nord, de 95 % à 100 % des jeunes femmes et des filles emprisonnées sont autochtones. Dans la plupart des cas, il s’agit de survivantes des pensionnats autochtones de première ou deuxième génération qui ont vécu des traumatismes causés par des agressions sexuelles ou physiques, par des démêlés avec la protection de l’enfance ou par des problèmes de santé mentale.

Nous avons le devoir de défendre les intérêts des personnes les plus marginalisées. Dans le cas présent, chers collègues, ce sont les Autochtones et les Noirs qui comptent sur nous pour que nous cessions de les envoyer en prison et de confier leurs enfants à la protection de l’enfance. Ils méritent que nous fassions tout en notre pouvoir pour renverser la tendance.

Honorables sénateurs, faisons le bon choix. La majorité des experts venus témoigner devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ont demandé de façon explicite que toutes les peines minimales obligatoires soient éliminées ou, au minimum, que nous amendions le projet de loi C-5 afin de permettre aux juges de ne pas imposer les peines minimales obligatoires que le projet de loi n’abroge pas.

Pourquoi? Parce que les peines minimales obligatoires sont le facteur principal qui contribue à ce que les Noirs et les Autochtones soient surreprésentés dans le système carcéral. Elles empêchent non seulement les juges de peser le pour et le contre, mais aussi d’exercer leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer la peine juste et suffisante. Ces peines minimales obligatoires empêchent les juges d’appliquer les principes de l’arrêt Gladue. Selon les principes de détermination de la peine prévus à l’alinéa 718.2e) du Code criminel du Canada, les juges ont l’obligation de limiter le recours à l’incarcération et d’examiner les facteurs cruciaux pour déterminer une peine raisonnable. Les peines minimales obligatoires vont à l’encontre de l’objectif principal des principes de détermination de la peine.

Sans amendement, l’effet du projet de loi C-5 sur la surreprésentation des Noirs et des Autochtones dans les prisons sera minime, pas uniquement parce que seulement quelques infractions sont concernées, mais aussi parce que, comme l’ont souligné des témoins devant le comité, les données du gouvernement indiquent que ce projet de loi augmentera les accusations et les pratiques de poursuite discriminatoires. Il amplifiera, multipliera et renforcera la discrimination.

Les peines minimales obligatoires font augmenter la durée moyenne des peines pour l’ensemble des condamnations au criminel. Elles encouragent aussi les procureurs et les avocats de la défense à négocier un plaidoyer. Trop souvent, la personne accusée d’une infraction passible d’une peine minimale obligatoire est encouragée à plaider coupable à des infractions moins graves pour éviter un procès à l’issue incertaine et le risque de se voir imposer une peine minimale obligatoire, et ce, qu’elle soit coupable ou non, ce qui est d’autant plus grave si elle n’est pas coupable. De façon similaire, il arrive trop souvent qu’une femme, après avoir subi des agressions horribles pendant longtemps, agisse pour se défendre ou pour défendre une personne à sa charge, parfois en utilisant une arme. Si, en réagissant de cette façon à de graves menaces de violence, la femme cause de graves blessures à son agresseur, elle est habituellement accusée d’avoir commis une infraction violente, ce dont le projet de loi C-5 ne tient pas compte.

Si son agresseur meurt, alors la femme sera habituellement accusée de meurtre et sera passible d’une peine minimale obligatoire d’emprisonnement à vie. Pour la plupart des femmes qui se trouvent dans cette situation précaire, même si l’accusée a agi de cette façon pour se défendre ou pour défendre ses enfants ou d’autres personnes, elle sera trop souvent encouragée à plaider coupable d’homicide involontaire pour s’éviter une peine minimale obligatoire. Bien des femmes dans cette situation sont autochtones, mais ce projet de loi ne permettrait pas aux juges de bien tenir compte des circonstances entourant chaque cas et d’adapter la peine en conséquence. Dans les décisions qu’elle a rendues récemment à l’égard des affaires Bissonnette, Ndhlovu et Sharma, la Cour suprême du Canada a confirmé que le Parlement a l’obligation de se pencher sur le bien-fondé des peines et qu’il ne devrait pas s’en remettre aux tribunaux lorsqu’il s’agit de combler les lacunes actuelles de la réforme en matière de détermination de la peine.

En 2015, le premier ministre Trudeau avait promis au monde qu’il allait :

[…] en partenariat avec les communautés autochtones, les provinces, les territoires et d’autres partenaires essentiels, mettre intégralement en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, en commençant par donner suite à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Il a donné le mandat à la ministre de la Justice de réduire le nombre d’Autochtones dans les prisons, et les lettres de mandat de tous les ministres incluent un engagement à promouvoir la réconciliation et à mettre en œuvre la déclaration de l’ONU.

Plus récemment, notamment devant l’ONU et lors de la deuxième Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le premier ministre a réaffirmé cet engagement et déclaré qu’il avait « vraiment hâte d’en faire encore plus ». Moi aussi j’ai hâte. Le projet de loi C-5 fait fi des appels à l’action nos 30 et 32 de la Commission de vérité et réconciliation, ainsi que des appels à la justice nos 5.14 et 5.21 du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui mettent l’accent sur l’abrogation de toutes les peines minimales obligatoires et sur la réduction de la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral, plus particulièrement des femmes autochtones.

Nombre de dirigeants autochtones et noirs, y compris la cheffe nationale Archibald de l’Assemblée des Premières Nations, aujourd’hui justement, nous ont demandé d’écouter les conseils de notre ancien collègue l’honorable Murray Sinclair et de nous attaquer dès maintenant à cette crise. Nous avons déjà condamné ceux qui attendent ce changement à des catastrophes encore plus graves. Nous devons prendre dès maintenant des mesures pour permettre aux juges d’accomplir leur travail et pour les libérer des limitations actuelles des peines minimales obligatoires sur leur capacité de tenir compte de toutes les circonstances pour déterminer des peines appropriées.

Le gouvernement prétend que tout amendement signifierait la mort du projet de loi. Nous avons déjà entendu ces arguments auparavant. Il a dit la même chose lorsque le Sénat a insisté pour maintenir les droits reproductifs des femmes, et aussi lorsque le Sénat a ajouté l’article 718.2e) aux principes de détermination de la peine de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il a dit la même chose lorsque nous avons insisté pour supprimer l’inégalité entre les sexes dans les modifications du projet de loi S-3 sur la Loi sur les Indiens.

(1710)

La liste est longue, chers collègues. Dans tous ces cas, non seulement la menace était infondée, mais les amendements du Sénat ont grandement amélioré des projets de loi imparfaits. Le Sénat doit tirer les leçons du passé et ne pas répéter ses erreurs. Tirons les leçons de notre histoire d’institutionnalisation des plus marginalisés. Faisons confiance aux données et ne permettons pas que les peines minimales obligatoires et l’incarcération massive qui en résulte, ainsi que le placement d’enfants par l’État, soient notre héritage institutionnel.

Chers collègues, nous avons une véritable catastrophe sur les bras. Nous avons permis que cela se produise. Nous savons que nos lois et nos politiques, à l’instar des pensionnats, des tombes anonymes et de la crise des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, perpétuent et exacerbent les injustices. Sachant cela, nous avons le choix. Nous pouvons continuer à faire l’autruche ou nous pouvons agir. Nous pouvons décider de corriger le projet de loi C-5 pour tenter de réparer les torts, d’atteindre les objectifs que le gouvernement a fixés et de mettre fin aux préjudices les plus flagrants.

Chers collègues, ceux que nous servons ont besoin de notre courage maintenant plus que jamais. Il est de notre responsabilité de ne pas les laisser tomber. Meegwetch, merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Bernadette Clement : Chers collègues, je vais présenter aujourd’hui un amendement au projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui vise à abroger certaines peines minimales. Nous avons discuté et débattu de ce projet de loi en long et en large. Plus précisément, l’autre endroit a entendu 52 témoins. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles en a entendu 45. L’étude de ce projet de loi n’a pas été facile. Nous voici en novembre 2022. Il est temps d’adopter ce projet de loi, mais surtout, il est temps de le faire correctement.

[Traduction]

Je l’ai entendu maintes et maintes fois : le mieux est l’ennemi du bien. Le projet de loi C-5 n’est pas assez bien, et les amendements ne le rendront pas mieux.

En 2021-2022, les Noirs représentaient 9,2 % de l’ensemble de la population carcérale, alors qu’ils représentaient environ 3,5 % de la population canadienne. Les Autochtones, qui comptent pour environ 5 % de la population adulte, continuent d’être largement surreprésentés dans le système correctionnel fédéral, puisqu’ils constituent 28 % de la population carcérale fédérale et près d’un tiers des détenus. En outre, 50 % des femmes détenues dans des prisons fédérales au Canada sont des femmes autochtones.

L’examen de ces données nous montre à quel point nous sommes loin du « bien ». Nous approchons-nous du « mieux »? Que nenni. Ce ne sera pas possible, mais un amendement permettrait d’améliorer les choses. L’amendement que je vais proposer rapproche le projet de loi C-5 du « bien » — et non du « mieux » —, afin de réduire la surincarcération des Noirs, des Autochtones et des Canadiens marginalisés.

Beaucoup de discussions et d’actions à l’égard du projet de loi C-5 se sont enchevêtrées dans la politique, mais soyons clairs : il ne s’agit pas d’être laxiste ou sévère envers les criminels. Il s’agit d’établir des lois qui sont efficaces et qui permettent d’atteindre nos objectifs. Les peines minimales obligatoires sont présentées au public comme étant cohérentes, c’est-à-dire qu’elles constituent une punition prévisible pour le crime. Cependant, le site Web du ministère de la Justice mentionne une recherche de mars 2018 qui indique :

La vaste majorité des Canadiens (95 %) estiment que pour en arriver à des peines justes et appropriées pour les délinquants, il faut accorder au moins un certain pouvoir discrétionnaire aux juges.

Je tiens à être claire. Ce n’est pas une question de politique. Il s’agit davantage de la nature et de la forme des messages que nous communiquons au public.

Pendant que je réfléchissais au projet de loi C-5 et à la présentation d’un amendement, je suis retournée au discours que le sénateur Gold a prononcé il y a deux semaines au Sénat et j’ai relu les témoignages. Le sénateur Gold a déjà cité plusieurs témoins du comité, mais je voudrais reprendre d’autres propos de ces témoins parce qu’ils croient au pouvoir discrétionnaire des juges, la raison pour laquelle je présente un amendement aujourd’hui.

Catherine Latimer, la directrice générale de la Société John Howard du Canada, a dit ce qui suit :

Nous sommes largement en faveur d’accorder aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine moindre que la peine minimale obligatoire lorsque cela permet de rendre une peine juste et proportionnelle. Ce point de vue est aussi celui de nombreux autres témoins et experts [...] qui recommandent de modifier le projet de loi pour accorder aux juges ce pouvoir discrétionnaire, que certains ont qualifié de soupape de sécurité pour empêcher les injustices qu’entraînent inévitablement les peines minimales obligatoires. Il s’agit d’une importante occasion à saisir pour favoriser la justice, et la Société John Howard vous exhorte à agir à cet égard.

Michael Rowe, de l’Association canadienne des chefs de police, a expliqué ceci :

[...] le Parlement pourrait accorder aux juges des pouvoirs supplémentaires par le biais d’une clause ou d’un mécanisme d’allégement, ce que d’autres pays ayant des peines minimales obligatoires ont, mais qui est présentement absent au Canada.

Brian Sauvé, président et fondateur de la Fédération de la police nationale, a dit ce qui suit :

Je pense que le fait d’accorder à notre système judiciaire un pouvoir discrétionnaire est une excellente décision. J’ai confiance dans le système judiciaire. Honnêtement, les juges deviennent des juges pour une bonne raison, et nous devons avoir plus de confiance en ces juges.

Janani Shanmuganathan, une avocate qui a comparu devant le comité, nous a dit :

En fin de compte, les peines minimales obligatoires privent les juges du pouvoir discrétionnaire de peser des facteurs importants comme les circonstances de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant. Un juge de première instance ne peut pas s’arrêter à se demander quelle peine la personne mérite vraiment. La peine minimale a la même taille pour tous, sauf que les délinquants sont de formes et de tailles différentes.

Elle a ajouté :

Vraiment, c’est au Parlement de décider. C’est à vous tous et à votre gouvernement que revient le rôle d’éliminer les peines minimales obligatoires et de remettre le pouvoir discrétionnaire aux juges de première instance, comme il se doit.

En plus des experts, de la Cour suprême du Canada, des commissions du droit et des commissions sur la détermination de la peine, une nette majorité des 45 témoins que nous avons entendus au comité appuient le pouvoir discrétionnaire des juges.

Je ne suis pas criminaliste. J’ai travaillé comme avocate dans des cliniques d’aide juridique, et j’en suis fière. L’une des leçons les plus profondes que j’ai tirées de mes trois décennies de pratique — eh oui, trois décennies — vient des multiples générations de clients que j’ai représentés. Après 15 ans de pratique, quand j’avais environ 40 ans — j’en ai maintenant 57, si vous vous posez la question —, les enfants de certains de mes clients sont aussi devenus mes clients.

C’est le résultat du cycle de pauvreté et du manque de soutien dont bénéficient les gens qui se butent à des obstacles dans notre société. J’aime aider les gens, cela m’a toujours motivée, mais j’ai parfois l’impression que c’est une cause désespérée. Savez-vous toutefois ce que j’ai aussi fait à l’âge de 40 ans? Je me suis lancée en politique. Je ressentais le besoin de m’attaquer davantage aux systèmes qui sont la source des problèmes. Je tenais à faire ma part pour briser le cycle de la pauvreté. C’est ce qui m’a amenée ici, à la table des décideurs, avec vous tous.

Pendant les travaux du comité, la sénatrice Pate, une collègue douée et dévouée, a présenté des arguments cruciaux en faveur du pouvoir discrétionnaire des juges. Je reviendrai ici sur les enjeux qu’elle a abordés.

Premièrement, le pouvoir discrétionnaire des juges est accepté dans d’autres provinces et territoires. Julian Roberts, professeur canadien de justice pénale à l’Université d’Oxford, a décrit les différentes façons de rédiger un amendement sur le pouvoir discrétionnaire des juges. Il a souligné que le recours aux « circonstances exceptionnelles » est la norme la plus élevée pour les juges et qu’il s’agit de l’expression utilisée au Royaume-Uni. Le sénateur Dalphond a fait le lien avec la juge en chef McLachlin lorsqu’elle a écrit au nom de la majorité dans l’affaire Lloyd. Comme l’a dit le sénateur Dalphond, elle a choisi d’utiliser l’expression « circonstances exceptionnelles ».

J’ai écouté attentivement son argument, et je remercie le sénateur Dalphond d’avoir souligné ce point important : la version présentée au comité ne contenait pas l’expression « circonstances exceptionnelles » et elle a été rejetée. Veuillez donc noter que l’amendement que je vais présenter a été mis à jour pour utiliser l’expression « circonstances exceptionnelles ».

Deuxièmement, les peines minimales obligatoires ne dissuadent pas et ne dénoncent pas la criminalité. En revanche, elles nuisent aux personnes qui sont les plus vulnérables et marginalisées et qui sont le plus traitées comme des criminels, notamment les Autochtones et les Noirs. Le site Web de Justice Canada indique ce qui suit :

Certaines données mises au jour portent à croire que les peines sévères — telles les PMO — ne sont pas des mesures efficaces de prévention du crime [...]

Même lorsqu’une baisse de la criminalité est enregistrée dans les territoires où sont appliquées des PMO, on constate souvent, à l’issue d’une analyse rigoureuse, que celle-ci s’est amorcée avant l’instauration des PMO et que la plupart des tendances mesurées traduisent d’importantes transformations en matière de criminalité à l’échelle nationale [...]

(1720)

Dans la partie suivante, on indique ce qui suit :

Les [peines minimales obligatoires] ont un impact disproportionné sur les personnes défavorisées et les membres des minorités, notamment les populations autochtones du Canada. En effet, en interdisant au juge qui prononce la sentence criminelle de prendre en compte le contexte social, elles peuvent avoir des conséquences nuisibles démesurées sur les personnes vulnérables.

Troisièmement, la disparité des lois provinciales en matière de peines minimales obligatoires crée des problèmes au point de vue constitutionnel. Comme on peut le lire sur le site du ministère de la Justice :

En date du 3 décembre 2021, le ministère de la Justice Canada suivait 217 contestations de [peines minimales obligatoires] en vertu de la Charte. Cela représente un peu plus du tiers (34 %) de toutes les contestations du Code criminel fondées sur la Charte [...]

Debra Parkes, professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, a dit au comité :

Nous avons eu un ensemble disparate inacceptable et sans principe de lois au Canada où les peines minimales obligatoires ont été déclarées inconstitutionnelles dans certaines provinces mais pas dans d’autres, et cela persiste même avec le projet de loi C-5. Bon nombre de ces lois ne sont pas modifiées par le projet de loi C-5, de sorte que nous continuerons d’avoir cet ensemble disparate.

Quatrièmement, les Autochtones et les Noirs sont moins susceptibles d’avoir les ressources nécessaires pour porter efficacement en appel les condamnations injustes imposées par les peines minimales obligatoires. Janani Shanmuganathan l’a bien expliqué au comité, en déclarant :

[...] ce que je dirais au sujet du plaidoyer de culpabilité, c’est que l’existence de peines minimales obligatoires peut seulement encourager les gens à plaider coupable lorsqu’ils n’ont pas besoin de le faire ou ne devraient pas le faire, parce que s’ils devaient subir un procès pour une accusation donnée et qu’ils perdaient, ils auraient alors la certitude d’obtenir au moins la peine minimale obligatoire, sinon plus. Si on leur permet de plaider coupable à une infraction moins grave, et d’ainsi obtenir une peine qui ne sera pas la peine minimale obligatoire, il devient d’autant plus intéressant pour eux de plaider coupable.

Cinquièmement, le gouvernement fédéral s’est engagé à la réconciliation. Les appels à la justice 5.14 et 5.21 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées soulignent les répercussions des peines minimales obligatoires et la surreprésentation tout à fait démesurée des femmes et des filles autochtones dans le système de justice pénale.

Les appels à l’action 30 et 32 de la Commission de vérité et réconciliation traitent de la surreprésentation des Autochtones en détention et demandent une dérogation aux peines minimales obligatoires. Ils demandent cela.

Comme l’a déclaré une témoin, Pam Hrick, directrice exécutive du Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes :

Ce comité a le pouvoir de forcer la main du gouvernement, d’insister pour que le Parlement ne remette pas à plus tard la mise en œuvre d’encore un autre appel à l’action. La mise en œuvre de l’appel à l’action 32 est un gain facile, et je vous exhorte à vous en prévaloir.

Cet argument a été repris par l’honorable Murray Sinclair lorsqu’il a déclaré :

Le gouvernement n’a fourni aucune donnée pour justifier son approche fragmentaire en vue d’abroger les peines minimales obligatoires, ni expliqué pourquoi il a rejeté l’appel à l’action no 32 de la Commission de vérité et réconciliation pour les peines minimales obligatoires que le projet de loi C-5 permet de conserver. J’exhorte le gouvernement à revoir sa position et à mettre pleinement en œuvre l’appel à l’action no 32. Nous devons éviter les solutions simplistes, punitives et uniques, et nous devons faire confiance aux juges et leur permettre de faire ce pour quoi ils ont été nommés.

Cet amendement reflète ces arguments et les recommandations exprimées par la majorité des témoins au comité. Il permet aux juges, dans des circonstances exceptionnelles, de ne pas appliquer les peines minimales obligatoires qui subsistent lorsqu’une peine plus adaptée est indiquée.

Motion d’amendement—Débat

L’honorable Bernadette Clement : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 3, par adjonction, après la ligne 10, de ce qui suit :

« 13.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 718.3, de ce qui suit :

718.4 (1) Le tribunal peut infliger à l’accusé une peine autre que la peine minimale prévue pour l’infraction si, après examen de l’objectif essentiel et des principes énoncés aux articles 718 à 718.2, il est convaincu que des circonstances exceptionnelles le justifient.

(2) Le tribunal motive toute décision d’infliger une peine autre que la peine minimale prévue pour une infraction et inscrit ses motifs au dossier de l’instance. ».

Merci.

[Français]

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs et sénatrices, je comprends l’esprit dans lequel cet amendement a été présenté, et je partage largement les valeurs qui le sous-tendent. Cependant, je prends la parole aujourd’hui pour expliquer pourquoi le gouvernement ne l’appuie pas.

Il est certain qu’un amendement à cet égard a été recommandé par plusieurs témoins. En même temps, des intervenants crédibles ont exprimé des préoccupations quant aux conséquences imprévues pouvant découler de cette approche dite de la « soupape de sécurité », dont l’Association du Barreau canadien, la Criminal Lawyers’ Association et Janani Shanmuganathan, une avocate qui a plaidé avec succès devant la Cour suprême dans l’affaire historique R. c. Nur sur les peines minimales obligatoires.

[Traduction]

L’une des principales inquiétudes est que cet amendement pourrait, en fait, stimuler la prolifération des peines minimales obligatoires dans le Code criminel.

Comme l’a mentionné Tony Paisana, de l’Association du Barreau canadien :

Compte tenu de l’article 12 de la Charte, si l’on ajoute une soupape de sécurité, cela voudra dire en fait que toute peine minimale obligatoire future sera à l’abri d’une contestation fondée sur la Charte, ce qui risque d’encourager l’imposition de peines minimales obligatoires à l’avenir [...]

Autrement dit, adopter cet amendement pourrait entraîner l’effet non intentionnel de fournir une protection constitutionnelle à un futur gouvernement qui serait tenté de greffer une peine minimale obligatoire à tout ce qui bouge. Cela voudrait dire que, dans un nombre croissant de cas, au moment de déterminer une peine, on présumerait qu’une peine minimale obligatoire s’applique. La défense aurait la pénible tâche de réfuter cette présomption.

À ce sujet, il est important de garder à l’esprit le témoignage de Julian Roberts, un criminologue de l’Université d’Oxford, devant le comité. S’exprimant sur la valve de sécurité qui existe en Angleterre et au pays de Galles, il a déclaré qu’« un très petit nombre de délinquants seulement peuvent en bénéficier ».

[Français]

Cela nous porte à nous demander quelles affaires seront jugées dignes du traitement spécial de la « soupape de sécurité ». Au comité, Anne-Marie McElroy, de la Criminal Lawyers’ Association, nous a prévenus que l’approche proposée par un amendement de ce type pourrait, et je cite :

[...] ne [profiter] qu’aux personnes privilégiées qui n’appartiennent pas aux groupes marginalisés dont on espère réduire le taux d’incarcération ou de représentation dans le système.

De plus, Mme Shanmuganathan croit que cela ne ferait, et je cite, « qu’entraîner d’autres litiges sur ce que nous considérons comme une “exception” ».

Bien sûr, les personnes qui ont de l’argent et des privilèges seront mieux placées pour s’engager dans les longs litiges pouvant être nécessaires pour profiter d’une telle disposition de « soupape de sécurité ». Comme je l’ai reconnu au comité, on pourrait faire valoir un argument semblable au sujet du processus de contestations fondées sur la Charte. Toutefois, au moins, pour les contestations fondées sur la Charte, une affaire n’a qu’à être plaidée avec succès une seule fois pour que d’autres personnes, dans des circonstances semblables, puissent en tirer profit. L’approche proposée par cet amendement pourrait condamner chaque délinquant à devoir plaider sa propre affaire.

[Traduction]

Cela dit, selon l’Association du Barreau canadien, si les peines minimales obligatoires devenaient « à l’abri d’une contestation fondée sur la Charte » en raison de cet amendement, cela pourrait mettre un frein aux contestations de ces peines qui sont devant les tribunaux à l’heure actuelle.

Par ailleurs, lors des séances du comité, nous avons discuté de la possibilité d’éliminer simplement toutes les peines minimales obligatoires. Pour être franc, comme je l’ai dit plus tôt, le public canadien et les députés élus à la Chambre des communes ne sont tout simplement pas rendus là.

(1730)

Plusieurs personnes ayant contesté la constitutionnalité des peines minimales obligatoires ont obtenu gain de cause, et d’autres contestations se trouvent devant les tribunaux à l’heure où l’on se parle. Si notre objectif est d’accorder aux juges un plus grand pouvoir discrétionnaire dans la détermination de la peine, n’amendons pas le projet de loi C-5 d’une manière qui risque de faire obstacle à ce progrès.

Enfin, si nous adoptions un tel amendement, nous aurions intérêt à prendre minutieusement en considération la façon dont les dispositions qui servent de soupape de sécurité fonctionnent ailleurs. Des variantes de ceci existent dans d’autres pays, mais elles sont toutes différentes. À certains endroits, la soupape de sécurité ne s’applique qu’à certains types d’infractions, telles que les infractions liées aux drogues ou à des actes criminels non violents. À d’autres endroits, le juge peut déroger à la peine minimale obligatoire si l’accusé coopère avec les autorités, par exemple, en acceptant de plaider coupable à certains chefs d’accusation ou de témoigner contre un tiers. À plusieurs endroits, la loi énumère des facteurs dont le juge doit tenir compte lorsqu’il décide si un cas mérite un traitement exceptionnel et, évidemment, ces facteurs varient d’un État à l’autre.

Il y a également la question du libellé. D’ailleurs, je vous remercie de votre discours, sénatrice Clement. C’était très réussi.

L’amendement à l’étude propose de permettre qu’on inflige une peine autre que la peine minimale obligatoire prévue si des « circonstances exceptionnelles » le justifient. La proposition qui avait été présentée au comité — et rejetée par ce dernier — parlait plutôt de permettre aux juges d’infliger une peine autre que la peine minimale obligatoire prévue dans les cas où cela sert l’intérêt de la justice.

Il existe de nombreuses autres approches possibles. Aux États‑Unis, une proposition a été faite pour qu’il soit possible d’infliger une peine autre que la peine minimale obligatoire prévue s’il s’avère nécessaire de le faire pour éviter d’enfreindre les lignes directrices en matière de détermination de la peine. En Nouvelle‑Zélande, jusqu’à récemment, la loi exigeait qu’on impose à certains récidivistes la peine maximale, à moins qu’une telle peine soit perçue comme étant manifestement injuste.

Chers collègues, ce genre de détails comptent. Lorsque, au comité, on a demandé à Madeleine Redfern, présidente de la Nunavut Inuit Women’s Association, si elle appuyait l’approche de la soupape de sécurité, elle a répondu par des questions très légitimes qu’elle se pose : « [...] qui conçoit cette soupape. Comment fonctionne-t-elle dans la pratique? Comment les gens sont-ils tenus responsables lorsque le système échoue? »

[Français]

Avant d’adopter une telle mesure, il serait judicieux que l’on mène une analyse approfondie des exemples internationaux, que l’on entende des témoignages sur les avantages et les inconvénients des différents modèles et que l’on obtienne des avis d’experts sur la manière dont un langage législatif particulier est susceptible d’être appliqué.

À cet effet, nous avons obtenu la perspective d’un seul témoin au comité, à la toute fin de notre étude. Il s’agissait d’un éminent criminologue, mais je ne pense pas que ce témoignage unique soit suffisant.

Le comité s’est concentré sur le contenu du projet de loi C-5. Les témoins nous ont répété qu’il s’agissait d’un bon projet de loi et d’un pas en avant considérable. Tout au long de notre étude, les criminalistes nous ont exhortés à adopter le projet de loi C-5 sans délai. De plus, depuis la récente décision de la Cour suprême dans l’arrêt Sharma, qui a confirmé de justesse les restrictions sur les peines avec sursis, les appels visant à adopter rapidement le projet de loi C-5 n’ont fait que s’intensifier.

[Traduction]

L’Association du Barreau canadien, ou ABC, a déclaré ceci :

Même s’il y a certainement place au débat et à l’amélioration, il est essentiel que nous ne jetions pas le bébé avec l’eau du bain en visant la perfection. Il est crucial que le projet de loi soit adopté et qu’il le soit rapidement.

Chers collègues, l’Association des avocats noirs du Canada nous a adressé l’exhortation suivante : « [...] nous vous encourageons à adopter promptement ce projet de loi afin que nous puissions commencer à appliquer sur le terrain [...] »

Cette association a aussi déclaré : « Nous ne pouvons laisser le mieux être l’ennemi du bien. »

Voici ce que notre collègue de l’autre endroit, le député néo‑démocrate Randall Garrison, a dit au Hill Times concernant l’étude du Sénat sur le projet de loi C-5 :

[...] ce projet de loi a l’appui de tous les partis et, si vous l’adoptez, nous aurons fait notre part [...] Si vous...

... les sénateurs...

[...] voulez accomplir d’autres choses, alors adoptez un [nouveau] projet de loi et renvoyez-le-nous [...], mais ne retardez pas celui-ci.

Chers collègues, ce sont de bons conseils.

En tout respect, je vous exhorte à vous opposer à cet amendement, à la fois en raison des graves préoccupations soulevées par des intervenants très crédibles, et en raison de l’importance de faire progresser rapidement le projet de loi vers la sanction royale. Je vous remercie de votre aimable attention.

La sénatrice Pate : Le sénateur Gold accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Gold : Oui, bien sûr.

La sénatrice Pate : Sénateur Gold, je vous remercie.

L’Association du Barreau canadien est en fait en train de reconsidérer sa position, malgré ce qu’a indiqué le futur président sortant.

Je veux revenir sur quelque chose que vous avez dit à propos de l’affirmation de l’Association du Barreau canadien selon laquelle ce type de clause mettrait les peines minimales obligatoires à l’abri des contestations constitutionnelles. Ne conviendriez-vous pas que des autorités comme l’honorable Murray Sinclair, qui, par l’entremise de la Commission de vérité et réconciliation, a tenu compte de tout cela, auraient une certaine connaissance de la pertinence de ces types de soupapes et du fait que la Cour suprême du Canada, dans l’affaire R. c. Bissonnette, au paragraphe 111, a déclaré être d’avis que :

Quoi qu’il en soit [...] l’existence d’un pouvoir discrétionnaire ne saurait sauvegarder une disposition qui permet l’infliction d’une peine cruelle et inusitée par nature. [...]. Étant donné qu’une telle peine doit purement et simplement être exclue de l’arsenal des mesures punitives [...]

Est-ce que cela ressemble, selon vous, à une déclaration de la Cour suprême du Canada selon laquelle ce genre de modification permettrait de maintenir une peine entraînant une violation de la Charte?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Il y a deux choses que j’aimerais dire. Premièrement, je respecte énormément l’autorité des gens et des anciens collègues que vous avez mentionnés ainsi que celle des autres juristes au Sénat. Deuxièmement, des personnes raisonnables peuvent être en désaccord. Le gouvernement estime, à juste titre, que cela augmente le risque que les futures peines minimales obligatoires ne puissent pas être déclarées inconstitutionnelles par les tribunaux.

Je tiens également à répondre à vos observations sur l’Association du Barreau canadien. Devant le comité, cette association était représentée par Tony Paisana, un ancien président de la Section nationale du droit pénal, et, comme je l’ai dit et comme les membres du comité le savent, il a clairement exprimé des réserves au sujet de l’approche de la soupape de sécurité.

Ce matin même, j’ai demandé à mon bureau de vérifier auprès de la Section nationale du droit pénal de l’Association du Barreau canadien pour voir si elle avait changé sa position, comme vous le laissez entendre dans votre question. Chers collègues, voici la réponse que nous avons reçue :

Bien que la section s’efforce continuellement de s’assurer que ses positions demeurent bien fondées, il serait faux de penser que la position de la section sur le projet de loi C-5 qui a été présentée au comité cet automne par nos représentants Tony Paisana et Jody Berkes est en train d’être reconsidérée ou modifiée ou qu’elle évolue actuellement.

La sénatrice Pate : Accepteriez-vous de répondre à une autre question, sénateur Gold?

Le sénateur Gold : Volontiers.

La sénatrice Pate : Comme vous le savez peut-être, l’Association du Barreau canadien a adopté en 2011 une résolution qui autorise exactement ce genre de mécanisme. Bien que je n’aie pas dit que c’était le cas actuellement, l’association aura de nouveaux dirigeants et, d’après ce qui a été clairement communiqué à notre bureau, en réponse à l’envoi du courriel qui provenait de Tony Paisana aujourd’hui, la question n’est vraiment pas réglée.

Je tiens à revenir à la Cour suprême du Canada. Sénateur Gold, êtes-vous en train de dire au Sénat que la position de l’Association du Barreau canadien aurait préséance sur ce qu’a dit la Cour suprême du Canada à ce sujet?

Le sénateur Gold : Non, sénatrice Pate, ce n’est pas ce que je dis. À titre de parlementaires, de membres de l’une des Chambres du Parlement, nous avons pour responsabilité de légiférer dans l’intérêt des Canadiens. Le projet de loi à l’étude vient de la Chambre des communes, où il a reçu l’appui du gouvernement et d’un autre parti, le Nouveau Parti démocratique. Le gouvernement est minoritaire, et c’est la politique qu’il choisit de mettre de l’avant.

(1740)

Je soutiens respectueusement que le ministre de la Justice a expliqué avec clarté et franchise au comité et sur d’autres tribunes que, selon le gouvernement du Canada, les mesures changeront les choses en ce qui concerne l’incarcération excessive et la surreprésentation des Autochtones, des Noirs et d’autres membres marginalisés de la société; qu’il s’agit d’un pas important dans la bonne direction; que les peines minimales obligatoires qui sont abrogées touchent un nombre important de cas impliquant des membres de ces groupes; que le rétablissement des possibilités de peine avec sursis représente une avancée majeure sur laquelle pratiquement tous les témoins s’entendent; et que c’est ce que le gouvernement et la Chambre des communes estiment être l’avancée qui est appropriée et qui, selon eux, est conforme à ce que le public juge acceptable et peut accepter.

Nous avons mené une étude sérieuse, nous avons entendu des témoins, nous avons entendu un nombre renversant de témoignages selon lesquels le projet de loi est bon et mérite d’être adopté. Aucun projet de loi n’est parfait. Tous les projets de loi, peut-être, peuvent être améliorés, mais il s’agit d’une décision stratégique d’un gouvernement minoritaire que nous avons étudiée soigneusement et judicieusement. Nous avons fait notre devoir constitutionnel. Je crois qu’il est temps pour nous d’accomplir notre devoir constitutionnel et d’adopter le projet de loi sans amendement. C’est pourquoi le gouvernement est d’avis que l’amendement ne devrait pas être appuyé, et j’invite tous les sénateurs à voter contre.

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole au sujet de l’amendement que la sénatrice Clement propose pour le projet de loi C-5, et parler par le fait même de ce projet de loi. Mes observations se déclineront en deux volets. Premièrement, je vais donner trois raisons pour lesquelles je suis sensible à ce qui est proposé dans l’amendement, et je dois admettre que j’appuie le principe qui sous-tend presque tous les arguments qui ont été avancés en faveur du projet de loi.

Deuxièmement, je vais parler des raisons pour lesquelles je vais voter à contrecœur contre l’amendement et voter pour le projet de loi sans amendement.

Dans cette enceinte et au comité, plusieurs intervenants ont donné une foule de raisons qui expliquent pourquoi le projet de loi C-5 comporte de bonnes mesures législatives qu’on aurait pu cependant améliorer considérablement. Je vais m’en tenir aujourd’hui aux dispositions du projet de loi visant à éliminer certaines peines minimales obligatoires du Code criminel, et j’aimerais faire valoir trois points à ce sujet.

Premièrement, j’aimerais parler de l’importance et de l’avantage d’accorder à la magistrature un pouvoir discrétionnaire pratiquement sans limites en ce qui a trait à la détermination de la peine. Même si nous pouvons tous trouver des cas où un juge a rendu une décision ou imposé une peine qui nous préoccupe, de façon générale, le Canada est doté d’une magistrature exceptionnelle composée de juristes éclairés.

En matière de détermination de la peine, ce n’est pas comme si les juges imposaient des sanctions aux personnes condamnées sur la base d’un caprice. D’ailleurs, il existe tout un ensemble de règles de droit sur la question de la détermination de la peine dans les affaires criminelles. En effet, dans mon ancienne faculté de droit, on offre un cours sur les lois relatives à la détermination de la peine, comme dans de nombreuses autres facultés de droit au Canada. Le cadre juridique de la détermination de la peine est complexe et il doit être adapté aux circonstances de chacune des affaires, comme on nous l’a expliqué.

Avec le plus grand respect pour les parlementaires, en général — et en particulier dans les affaires qu’ils connaissent très bien, ce qui est compréhensible —, les juges sont les meilleurs arbitres de la sanction appropriée.

Il me semble étrange que nous soyons parfaitement à l’aise avec le fait que, dans la grande majorité des cas, les juges prennent seuls les décisions relatives à la culpabilité ou à l’innocence, ce qui est de loin leur fonction la plus importante, mais que nous perdions soudainement confiance en eux lorsqu’il s’agit de déterminer une peine, et que nous leur disions, du moins en partie, ce qu’ils doivent faire, sans tenir compte des faits particuliers de l’affaire qu’ils jugent.

Mon deuxième point a été mentionné par quelques témoins, et certains aspects de mon ancienne carrière en enseignement de l’éthique juridique font en sorte que ce point me tracasse. Dans certains cas, comme nous l’avons vu devant les tribunaux et dans le cadre d’arguments présentés au Sénat, l’imposition de peines minimales obligatoires est manifestement injuste, voire inconstitutionnelle, non seulement de mon point de vue, du vôtre, de celui de l’accusé ou de l’avocat de la défense, mais aussi de celui du procureur. Certains d’entre vous déplorent peut-être le cœur de pierre des procureurs, mais, selon mon expérience, la vaste majorité d’entre eux veulent que justice soit faite. Pour ce faire, il faut parfois éviter d’imposer à un accusé une peine qui serait injuste, même aux yeux du procureur.

Que peut donc faire le procureur? La réponse évidente est qu’il cherche une autre accusation criminelle, plus ou moins associée aux éléments de preuve, qui entraîne une punition correspondant mieux au crime — en fait, la sénatrice Batters a suggéré une telle approche dans son échange avec le sénateur Gold un peu plus tôt —, puis il accuse la personne de cette infraction.

Il y a de fortes chances que l’accusé ne soit pas coupable de cette infraction qui correspond plus au moins à l’acte qu’il a commis, et que tant le poursuivant que l’avocat de la défense en soient conscients. Cependant, l’avocat de l’accusé conseille à son client de plaider coupable afin d’éviter d’être condamné pour l’infraction qu’il a probablement commise parce que l’imposition d’une peine minimale obligatoire donnerait lieu à une peine bien plus sévère et injuste.

D’aucuns feront valoir que ce n’est que justice. Cependant, en agissant ainsi, le poursuivant et l’avocat de la défense ont tous les deux violé les obligations centrales de leurs codes de conduite et leurs obligations professionnelles. Le poursuivant doit porter une accusation, alors qu’il sait qu’il n’y a pas de possibilité raisonnable de condamnation. Or, les poursuivants qui ne se conforment pas à cette norme s’attirent des ennuis puisqu’il s’agit d’une de leurs obligations centrales. Quant à l’avocat de la défense, il doit recommander à son client de plaider coupable à une infraction criminelle qu’il n’a fort probablement pas commise.

Étant donné que nous sommes dotés d’un système de justice très avancé et envié, il est fort étrange d’avoir à demander tant aux poursuivants qu’aux avocats de la défense d’agir de façon non éthique parce que la sévérité des peines minimales obligatoires empêcherait autrement l’obtention de justice dans ces cas problématiques.

Je dirais que ces deux points s’appliquent à presque toutes les peines minimales obligatoires et seraient réglés par des dispositions législatives qui supprimeraient l’imposition de telles peines.

Mon troisième point concerne spécifiquement l’amendement que nous examinons. J’appuie le principe de l’amendement. En effet, plus tôt cet automne, quand j’étais porté par l’espoir, j’ai supervisé la rédaction d’un amendement presque identique à celui que propose la sénatrice Clement.

Soyons clairs. Je souscris à l’idée que les gens doivent être tenus responsables de leurs actes. Cependant, la forme que doit prendre cette responsabilité peut varier considérablement. Dans certains cas, cela devrait être l’incarcération, et parfois pour une très longue période. Parfois moins. Si nous pensons que la réinsertion est un objectif important du système de justice pénale, les longues peines d’emprisonnement, voire l’emprisonnement tout court, ne sont peut‑être pas la solution.

Il s’agit d’un débat sérieux et j’hésite à introduire ne serait-ce qu’un soupçon de légèreté, mais, comme vous vous en doutez peut‑être, je ne peux pas résister. J’ai été sous-procureur général et sous‑ministre de la Justice de la Saskatchewan pendant un certain temps. J’étais notamment responsable des prisons provinciales. Comme la sénatrice Pate et d’autres l’ont fait remarquer, les prisons provinciales comptent un grand nombre de détenus autochtones — ce qui est profondément troublant — et je pense que nous avons réussi, à certains égards, à améliorer la situation.

J’avais l’habitude de me rendre régulièrement dans les prisons et de passer un tiers de mon temps avec les gestionnaires, un tiers avec les gardiens et le dernier tiers avec les détenus. Une fois, lors d’une visite au Centre correctionnel provincial de Prince Albert, j’ai rencontré des détenus, dont un qui participait à un programme de formation et qui était accroupi, une lampe à souder à la main, pour couper du métal. Cela faisait partie de sa formation. J’ai discuté avec lui pendant une ou deux minutes et je lui ai demandé pourquoi il était emprisonné. Il m’a répondu que c’était pour avoir forcé un coffre-fort.

Bon, je pense qu’il voulait simplement me faire une blague, mais cela m’a fait me demander si les programmes de formation offerts en prison sont nécessairement les bons programmes pour une vie honnête en société.

Les juges ne trouveront pas toujours la bonne solution, mais ils sont mieux outillés pour le faire que nous, des parlementaires qui, des années après les faits à des centaines de kilomètres d’où s’est produit l’événement, n’ont aucune idée des circonstances liées à cet événement.

L’amendement à l’étude permettrait aux juges d’user de leur jugement et de s’assurer que justice soit rendue au moment de déterminer la peine et de le faire aussi dans les cas où il semble évident qu’il faut éviter d’infliger la peine minimale obligatoire. Cela résoudrait les deux dilemmes que j’ai mentionnés précédemment.

(1750)

Je ne parlerai pas du débat concernant les partisans et les détracteurs de cette mesure, si ce n’est pour dire ceci. Il y a quelques années, à la Conférence sur l’harmonisation des lois au Canada, la section du droit criminel, composée de procureurs principaux, d’avocats principaux de la défense et de responsables des politiques de justice pénale des gouvernements fédéral et provinciaux, a appuyé l’idée de tenir compte de ces « circonstances exceptionnelles » en employant pratiquement la même formulation que cet amendement.

Maintenant, voici la raison pour laquelle je dois me résoudre, à contrecœur, à ne pas appuyer cet amendement. Après mûre réflexion, j’en suis arrivé à la simple conclusion que ce projet de loi n’ira nulle part à l’autre endroit. Bien que je pourrais en parler plus en détail, comme d’autres l’ont fait, ma position se résume à deux aspects. Premièrement, d’après les renseignements que j’ai pu recueillir de façon indépendante parmi les partisans du projet de loi, je suis arrivé à la conclusion que les appuis dont il bénéficie ne sont pas suffisants pour en permettre l’adoption. J’en suis déçu, mais je m’efforce de ne pas faire preuve de naïveté à ce sujet.

Ma deuxième préoccupation est liée au fait qu’un amendement presque identique à celui-ci a été rejeté par une majorité écrasante de membres du Comité de la justice de l’autre endroit au motif qu’il dépassait la portée du projet de loi. Il semble très improbable que cet amendement soit voué à un sort différent de celui qui lui a déjà été réservé. Cette situation me déçoit, mais, encore une fois, je ne suis pas naïf.

L’adoption de cet amendement et son renvoi à l’autre endroit auraient donc nécessairement comme conséquence, à mon avis, de retarder l’adoption du projet de loi C-5 pendant un certain temps, en pure perte, à la grande déception des personnes qui appuient les modifications législatives proposées dans le projet de loi, dont beaucoup ont demandé qu’il soit adopté de toute urgence.

Il y a aussi le risque, peut-être faible, peut-être réel, que l’étude du projet de loi avance péniblement dans l’autre endroit. Je m’en voudrais de ne pas rappeler aux sénateurs, à ce stade-ci, que le gouvernement s’est engagé fermement à faire adopter ce projet de loi, y compris dans ses plateformes électorales. Selon moi, nous ne devons pas perdre cela de vue.

Je suis loin d’être un expert sur la façon dont ces choses fonctionnent à l’autre endroit — un handicap de 30, pourrait-on dire — mais pour ma part, je ne suis pas prêt à courir le risque d’empêcher l’adoption du projet de loi, car cela m’emmènerait au-delà des frontières de ma légitimité limitée de sénateur, au Parlement, ce que je ne suis pas prêt à faire.

Je répète que le projet de loi C-5 est un bon projet de loi et que je l’appuierai. Cela dit, quelle que soit la décision prise à l’égard de cet amendement et des diverses questions dont nous débattons, je suis plus que prêt à commencer immédiatement, avec d’autres, à examiner tout l’éventail de peines au Canada dans le but de parvenir à un système de justice pénale meilleur, plus réactif et plus équitable. Merci.

Son Honneur le Président : Nous débattons de l’amendement. Sénatrice Simons, je devrai vous interrompre à 18 heures, je m’en excuse à l’avance.

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’amendement que la sénatrice Clement propose d’apporter au projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Je mentionnerai, tout d’abord, que la sénatrice Pate et moi sommes allées à l’Établissement d’Edmonton pour femmes, une prison fédérale qui dessert les Prairies, en août dernier. Lors de notre passage, l’établissement était plein. Il était même surpeuplé. On nous a dit que 70 % des détenues étaient des femmes autochtones issues des Premières Nations, des nations métisses ou du peuple inuit.

C’est l’une des terribles injustices que le projet de loi C-5 vise à régler. Il élimine les peines minimales obligatoires associées à 20 infractions au Code criminel et redonne aux juges le pouvoir discrétionnaire et la responsabilité d’établir une peine appropriée qui tienne compte des circonstances complexes entourant un crime particulier.

Les peines minimales obligatoires privent les juges d’une partie de leur autorité et de leur autonomie, et elles privent les personnes déclarées coupables de la possibilité de recevoir une peine appropriée et nuancée, qui tienne compte de leur contexte social complexe et de leur histoire personnelle. On espère que l’élimination de cette constellation de peines minimales obligatoires permettra non seulement d’offrir une meilleure justice aux accusés autochtones, noirs et queers et aux autres personnes marginalisées, mais aussi de rendre le système de justice plus juste pour tout le monde, de désengorger les tribunaux et les prisons, et de redonner aux juges le respect et l’indépendance dont ils ont besoin.

Le projet de loi C-5 va plus loin encore. Il encouragerait la police à songer à déjudiciariser certaines infractions, notamment les infractions relativement mineures liées aux drogues, ce qui permet d’orienter le délinquant vers des programmes de traitement médical et psychiatrique des toxicomanies que plutôt que le faire entrer dans le système de justice pénale.

Il y aurait aussi d’importants changements apportés à l’utilisation des peines avec sursis, pour permettre à plus de défendeurs d’être considérés comme admissibles à purger leurs peines en étant soigneusement surveillés et restreints chez eux. J’ai certainement entendu des avocats criminalistes exprimer leur impatience de voir le projet de loi adopté rapidement, pour que leurs clients actuels et futurs puissent en bénéficier, surtout à la lumière de l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans le dossier Sharma, qui a bien montré qu’on ne peut pas s’attendre à ce que ce soient les tribunaux eux-mêmes qui fassent en sorte que l’option de la peine avec sursis soit plus souvent retenue.

Pourtant, j’estime que je dois appuyer cet amendement, car si nous n’agissons pas maintenant, nous risquons de manquer une occasion vitale de nous attaquer à un problème plus vaste et plus profond. Comme l’a fait remarquer la sénatrice Clement, le projet de loi C-5 supprime certaines peines minimales obligatoires, mais il en laisse beaucoup d’autres intactes, y compris certaines qui ont déjà été jugées inconstitutionnelles par diverses cours supérieures du pays.

C’est non seulement absurde à première vue, mais cela crée une étrange mosaïque de protocoles de détermination de la peine au pays. Si vous commettez un crime particulier dans une province, vous recevrez une peine complètement différente que si vous commettiez exactement le même crime dans une autre province. Cela tourne en dérision notre système de justice pénale et les droits de la personne des Canadiens, qui ont droit à un traitement égal devant la loi, peu importe la province où ils habitent. Dans une fédération comme la nôtre, le Code criminel doit être appliqué de façon égale, de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve.

Le projet de loi C-5 est également muet à propos de l’un des plus grands domaines d’injustice en matière de détermination de la peine : le meurtre. Vous vous dites peut-être : « Évidemment, sénatrice Simons. Le meurtre est le pire des crimes et il exige une peine minimale obligatoire. Qui pourrait le contester? »

Nous devons reconnaître l’existence d’un risque réel que les hommes et les femmes faisant face à la peine minimale obligatoire pour meurtre — soit une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans dans le cas d’un meurtre au deuxième degré et sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans dans le cas d’un meurtre au premier degré — voudront éviter un procès et plaideront coupables à des accusations d’homicide involontaire pour obtenir une peine plus courte, dans un type de scénario comme celui que le sénateur Cotter a si bien décrit. Même dans les cas où les gens peuvent avoir des arguments de défense légitimes devant les tribunaux, beaucoup d’entre eux accepteront une entente de plaidoyer soit parce qu’ils n’ont pas les moyens de préparer une défense vigoureuse et bien financée, soit parce qu’ils ne veulent pas courir le risque de perdre.

Voilà qui me ramène à ma visite de l’Établissement d’Edmonton pour femmes. Alors que je m’y trouvais avec la sénatrice Pate, nous avons rencontré une jeune femme autochtone que je nommerai SB. Elle portait bien en évidence un gros crucifix et elle parlait avec ardeur de son amour pour Jésus. Plus tard, elle m’a entraînée à l’écart pour me demander si je pouvais l’aider avec son cas. Elle venait d’être reconnue coupable d’homicide involontaire, mais elle m’a dit avec ferveur qu’elle était possédée par des démons lorsqu’elle a commis le crime.

Sa vulnérabilité et sa détresse psychologique évidente m’ont touchée et m’ont interpellée. J’ai donc mené des recherches sur son cas. Cela n’a pas été facile. Elle avait été arrêtée à Winnipeg en 2020, puis accusée du meurtre au deuxième degré de l’homme avec lequel elle avait vécu. Même si les médias avaient parlé brièvement de son arrestation, ils n’avaient pas du tout couvert l’issue de cette affaire. J’ai donc communiqué avec le bureau chargé de la poursuite et écrit à la personne chargée de juger cette affaire. Après plusieurs mois, j’avais enfin à ma disposition suffisamment de documents judiciaires pour tenter de faire la lumière sur cette histoire.

S.B. et la victime étaient tous les deux dépendants à la méthamphétamine. Ils squattaient ensemble dans une maison vacante à Winnipeg. Les voisins ont commencé à s’inquiéter de ce qui se passait dans cette maison, et ils ont appelé la police. Quand les policiers sont arrivés sur les lieux, ils ont trouvé le cadavre d’un homme, dont le crâne avait été défoncé. Le corps était en état de décomposition avancée, et le médecin légiste ne pouvait pas préciser depuis combien de temps l’homme était mort. D’après les estimations, le décès remontait à entre deux et huit jours. Selon les résultats de l’enquête médico-légale, l’homme était mort à la suite d’un traumatisme contondant. Cependant, l’autopsie ne parvenait pas à déterminer l’arme utilisée, et je n’ai rien trouvé dans les dossiers publics des tribunaux indiquant qu’une arme quelconque avait été découverte.

La police a rapidement arrêté l’un des associés masculins du défunt. Dans les documents du tribunal, l’homme a été décrit comme un :

« témoin douteux » en raison de son casier judiciaire et du fait qu’il n’a fait une déclaration à la police qu’après avoir été lui-même arrêté pour le meurtre.

Ce « témoin douteux » a déclaré à la police que c’était SB qui avait battu l’homme à mort avec un manche de hache et qu’il était entré dans la pièce et l’avait vue le faire.

Or, à en juger par les dossiers judiciaires que j’ai eu la chance d’examiner, la police n’a jamais trouvé de preuves médico-légales reliant Mme B au crime. Il n’y a aucune mention dans les dossiers d’éclaboussures de sang ou d’empreintes digitales sur l’arme du crime ni aucune mention d’une quelconque arme du crime. Les services de police ne pouvaient même pas situer de manière fiable la femme dans la maison au moment du meurtre, car ils ne disposaient d’aucune preuve médico-légale indépendante permettant de déterminer la date ou l’heure du décès. Il n’y avait pas non plus d’indication de mobile pour expliquer pourquoi SB aurait pu tuer son compagnon. La preuve principale était le témoignage personnel du premier suspect arrêté pour le crime. Cela, et la mémoire extrêmement floue de SB. Elle a déclaré à la Cour qu’elle pensait avoir tué son compagnon, mais qu’elle n’en avait pas un souvenir précis et qu’elle n’avait aucune raison ou explication pour laquelle elle aurait voulu le tuer.

(1800)

Je me permets de citer son témoignage devant le tribunal :

Ce... ce jour-là, ce qui s’est produit était... je ne peux même pas commencer à l’expliquer parce que j’ai très peu de souvenirs de ce qui s’est produit ce soir-là. Tout ce que je sais est que c’était un incident contre nature et je suis tellement désolée. Jamais de ma vie j’aurais pu penser que je pouvais commettre un crime aussi odieux. Et je veux seulement... je demande pardon à... à tous les côtés de ma famille, de sa... surtout de sa famille.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénatrice Simons, mais je dois vous interrompre.

Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, à moins que nous convenions de ne pas tenir compte de l’heure. Est-ce d’accord?

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : J’entends un « non ».

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d’amendement—Ajournement du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Gagné, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénatrice Clement, appuyée par l’honorable sénatrice Duncan,

Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 3, par adjonction, après la ligne 10, de ce qui suit :

« 13.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 718.3, de ce qui suit :

718.4 (1) Le tribunal peut infliger à l’accusé une peine autre que la peine minimale prévue pour l’infraction si, après examen de l’objectif essentiel et des principes énoncés aux articles 718 à 718.2, il est convaincu que des circonstances exceptionnelles le justifient.

(2) Le tribunal motive toute décision d’infliger une peine autre que la peine minimale prévue pour une infraction et inscrit ses motifs au dossier de l’instance. ».

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, j’aimerais vous en dire plus sur S.B. et sur l’histoire que j’avais commencé à raconter avant la pause repas.

Pendant son enfance marquée par la pauvreté, l’instabilité et les traumatismes, S.B. a été souvent victime de violence physique, y compris de violence sexuelle. En effet, selon le rapport présentenciel, elle a dit avoir été agressée par 13 membres de sa famille dans son enfance.

Dans un affidavit, elle a dit qu’elle a commencé à boire à l’âge de 15 ans et qu’elle est devenue dépendante à la méthamphétamine en cristaux à 18 ans. Elle a dit qu’elle avait réussi à arrêter de consommer de la méthamphétamine lorsqu’elle est tombée enceinte de son premier enfant, et qu’elle n’a pas consommé de drogue pendant 14 ans. Elle a fait une rechute en 2019, et elle a vécu dans les rues de Winnipeg pendant cinq mois avant son arrestation. Elle a maintenant six enfants dont elle avait perdu la garde avant son arrestation.

S.B. avait un casier judiciaire incluant 19 infractions, ce qui peut sembler assez grave, mais 14 de ces infractions ont trait à des choses comme le défaut de comparaître en cour et le défaut de respecter le couvre-feu. Sa plus longue peine d’emprisonnement était de 30 jours. Elle n’avait pas de graves antécédents de violence. D’ailleurs, avant son arrestation, elle avait seulement été accusée en 2017 d’une agression mineure pour laquelle elle avait bénéficié d’une absolution conditionnelle.

Vous pouvez imaginer que cette femme aurait peut-être pu contester l’accusation de meurtre au deuxième degré lors du procès. Vous pourriez supposer, par exemple, que son avocat aurait pu faire valoir qu’elle n’était pas criminellement responsable parce qu’elle souffrait d’un trouble mental qui la rendait incapable de comprendre la nature et la qualité de ses actions, ou de savoir qu’elles étaient mauvaises, compte tenu surtout de sa croyance qu’elle était possédée par des démons, ou qu’elle était en transe.

Vous imaginez peut-être qu’un avocat aurait pu soutenir que S.B. souffrait d’une psychose causée par des drogues ou d’une ivresse extrême volontaire, d’autant plus que cette jeune femme a été condamnée avant que nous adoptions à toute vitesse — sans examen approprié, dois-je préciser — le projet de loi C-28 en juin. Vous supposerez peut-être que de demander simplement que la Couronne prouve hors de tout doute raisonnable que S.B. avait commis le crime, étant donné le peu de preuves physiques contre elle aurait pu être une stratégie juridique viable.

En effet, en juin 2021, après l’audience préliminaire, la Couronne a demandé de suspendre les procédures dans l’affaire en déclarant qu’elle avait déterminé qu’il n’y avait aucune probabilité raisonnable de condamnation. Pourtant, en janvier 2022, l’avocat de la femme a écrit au tribunal que sa cliente accepterait de plaider coupable. Après tout, une accusation de meurtre au deuxième degré est assortie d’une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. En plaidant coupable d’homicide involontaire, S.B. a reçu une peine d’emprisonnement de huit ans, moins le temps passé en détention, ce qui lui laissait un peu plus de quatre ans à purger sur sa peine.

Ce n’est peut-être pas l’intention du régime de peines minimales obligatoires, mais il est conçu de manière à encourager de tels plaidoyers de culpabilité, même lorsqu’un accusé peut avoir une défense viable devant le tribunal. Les accusés les plus pauvres, les plus vulnérables et les plus impuissants sont ceux qui sont le plus souvent poussés à accepter ces accords de plaidoyer parce qu’ils n’ont pas la capacité de se défendre et n’ont franchement aucun espoir.

Examinons le résultat dans ce cas-ci. Puisqu’il n’y a pas eu de procès, il n’y a pas eu de couverture médiatique, d’intérêt public, de questions du public sur les faits et d’indignation du public. S.B. a été condamnée de manière discrète et invisible, sans que les gens aient l’occasion d’entendre son histoire ou de défendre sa cause. Elle a ensuite été transportée à des milliers de kilomètres de sa famille pour purger sa peine dans une prison surpeuplée remplie de femmes autochtones dont les histoires sont presque aussi sombres que la sienne.

Si j’ai décidé de vous raconter l’histoire de cette personne, c’est parce qu’elle illustre véritablement la crise dans notre système carcéral et, soyons honnêtes, dans la société. L’amendement que j’appuie aujourd’hui n’autoriserait pas les juges à faire fi des peines minimales obligatoires. Cet amendement leur donnerait simplement la possibilité, dans des cas sortant vraiment de l’ordinaire — des cas où une peine minimale obligatoire est manifestement inadéquate —, de suggérer pour la partie défenderesse une peine de substitution et de justifier celle-ci.

Je conviens et j’accepte, pour toutes les raisons énoncées par le sénateur Gold, qu’il s’agit d’une solution imparfaite. C’est peut-être une solution qui manque de diplomatie. Je sais que dans un monde débordant d’adeptes de la réalpolitique nous courons un risque bien réel en insistant sur cet amendement à l’étape de la troisième lecture.

Honorables sénateurs, j’ai eu le privilège de siéger au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pendant qu’il étudiait le projet de loi C-5. J’ai entendu une série de témoins — des universitaires, des avocats et des militants — nous demander un amendement de cette nature. Je ne peux pas, en toute conscience, ne pas tenir compte de leurs conseils, pas plus que je ne peux fermer les yeux sur des histoires comme celle dont je vous ai fait part ce soir.

J’espère que vous y réfléchirez sérieusement au moment de voter.

Merci. Hiy hiy.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion du sénateur Housakos, au nom du sénateur Plett, le débat est ajourné.)

La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice Mégie, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres.

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’appui du projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres, parrainée par la sénatrice McCallum.

Cet important projet de loi obligerait le ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse à déposer au Parlement, à l’égard de certains projets de loi, un énoncé décrivant les effets possibles du projet de loi sur les femmes, en particulier les femmes autochtones.

La sénatrice McCallum a amorcé le débat en lançant un puissant appel à l’égalité réelle pour les femmes autochtones, étant donné la discrimination et la violence terribles qu’elles endurent au sein de notre fédération. La sénatrice McPhedran a récemment donné son appui à ce projet de loi et fait part de son point de vue dans le cadre de la discussion. J’espère qu’il y aura d’autres interventions et que le projet de loi S-218 sera renvoyé au comité avec un sentiment d’urgence puisqu’il a été présenté en novembre 2021 ainsi qu’à deux occasions au cours de la législature précédente.

Chers collègues, pourquoi ce projet de loi est-il nécessaire? Depuis l’adoption du projet de loi C-51 en 2019, la loi fédérale oblige le ministre de la Justice à fournir un énoncé de conformité avec la Charte pour chaque projet de loi d’initiative ministérielle dont le Parlement est saisi. Toutefois, le respect des exigences de la Charte en matière d’égalité n’est pas nécessairement synonyme d’un travail bien fait pour ce qui est d’envisager et de concevoir des politiques publiques qui établissent l’égalité et qui ouvrent la voie à toutes les femmes.

Comme la sénatrice McCallum nous l’a dit, c’est particulièrement le cas pour les femmes autochtones : une compréhension et des connaissances particulières sont souvent nécessaires pour réfléchir sérieusement au colonialisme, à la discrimination, à la violence, aux risques découlant de l’exploitation des ressources, aux droits issus de traités, aux droits constitutionnels ancestraux et aux droits inhérents confirmés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Compte tenu des nombreux désavantages créés par des injustices, le projet de loi vise à aider les femmes autochtones à accéder à la qualité de vie que tant d’autres tiennent pour acquise afin qu’elles exercent leurs droits individuels et collectifs et qu’elles en bénéficient.

Comme j’en parlerai, le concept de l’analyse comparative entre les sexes plus est également suffisamment vaste pour répondre aux préoccupations contextuelles d’autres groupes de femmes qui sont désavantagés, comme d’autres groupes racialisés. J’ai bon espoir que le comité se penchera sur ce point.

Plus précisément, le projet de loi S-218 exigerait qu’un rapport soit déposé sur l’analyse comparative entre les sexes pour tous les projets de loi du gouvernement, ainsi que pour les projets de loi d’initiative parlementaire de la Chambre des communes et les projets de loi d’intérêt public ou privé du Sénat qui atteignent l’étape de l’étude en comité.

Comme la sénatrice McCallum nous l’a dit, elle a choisi ce seuil parce que l’adoption à l’étape de la deuxième lecture indique qu’un projet de loi d’initiative parlementaire progresse bien au Parlement. Par ailleurs, un tel projet de loi exige le dépôt par le ministre d’un énoncé en réponse aux amendements adoptés par la Chambre où ce projet de loi a pris naissance, au cas où il y serait adopté, pour la gouverne de la deuxième Chambre. Cet élément du projet de loi S-218 est utile parce qu’il permet d’avoir une vue d’ensemble.

(2010)

Honorables sénateurs, en exigeant dans la loi que les analyses comparatives entre les sexes soient accessibles au public, on peut accroître la valeur des lois fédérales pour les femmes, y compris les femmes autochtones. Ainsi, le projet de loi S-218 représente une progression naturelle des efforts déployés depuis des années pour que le gouvernement fédéral tienne compte des analyses comparatives entre les sexes, ainsi que de la réconciliation, lorsqu’il rédige des mesures législatives.

Cela n’a rien de nouveau. En effet, en 1995, le gouvernement du Canada s’est engagé, lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes des Nations unies, à baser ses décisions stratégiques sur des analyses comparatives entre les sexes. Malheureusement, des défis demeurent. En 2005, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes a déposé un rapport soulignant l’application inégale de l’analyse comparative entre les sexes par les ministères, ce qui a donné lieu à la nomination d’un groupe d’expertes sur les mécanismes de responsabilisation pour l’égalité entre les sexes. Dans son rapport publié en 2005, le groupe a recommandé l’adoption d’une loi visant à assurer la mise en œuvre de l’analyse comparative entre les sexes, la surveillance et l’obligation de faire rapport à ce sujet. Le projet de loi S-218 nous permettrait de donner suite à une recommandation formulée il y a 17 ans.

En 2009, la vérificatrice générale a publié un rapport au sujet de l’analyse comparative entre les sexes qui mentionnait que l’application de cet outil variait grandement d’un ministère à l’autre. En 2015, le vérificateur soulignait qu’il existait toujours des obstacles à l’utilisation de l’analyse comparative entre les sexes plus, l’ACS+, notamment en raison de l’absence d’une obligation pour le gouvernement d’y avoir recours dans la production des projets de loi. À ceux qui pourraient être néophytes dans ce domaine, le « + » dans « ACS+ » signifie que l’analyse comparative entre les sexes ne concerne pas seulement les différences entre les sexes. Elle concerne également les intersections avec des éléments liés à l’identité comme l’origine ethnique, la religion, l’âge, la langue, le revenu ou les handicaps. Il s’agit donc d’un concept qui respecte la diversité et l’inclusion.

Le fait que le projet de loi S-218 soit plus particulièrement axé sur les femmes autochtones ne mène certainement pas à l’exclusion d’autres groupes de femmes lorsque la prise en compte du contexte social est importante, par exemple dans le cas d’autres groupes racialisés ou marginalisés. Encore une fois, le comité pourra se pencher sur ces détails.

En 2015 et en 2017, les lettres de mandat des ministres de la Condition féminine demandaient qu’on priorise le renforcement du recours à l’analyse comparative entre les sexes. En 2017, un rapport de Femmes et Égalité de genres soulignait que le gouvernement fédéral avait rendu l’utilisation de l’ACS+ obligatoire pour tous les mémoires au cabinet et pour toutes les présentations au Conseil du Trésor.

C’est un pas dans la bonne direction. Par contre, les analyses ne sont pas rendues publiques. Ce manque de transparence est le premier problème de la situation actuelle que le projet de loi S-218 viendrait régler en exigeant le dépôt de ces analyses.

Le projet de loi S-218 réglerait également un deuxième problème. Comme l’a dit la sénatrice McCallum, « n’importe quel gouvernement futur peut mettre fin à la pratique à tout moment. » En inscrivant cette analyse et ces exigences relatives aux femmes dans la loi, il serait difficile de mettre fin à une telle pratique autrement qu’en abrogeant la loi dans le contexte d’un examen démocratique.

Le projet de loi S-218 s’attaquerait également à un troisième problème lié à la situation actuelle, à savoir que l’analyse comparative entre les sexes n’est pas toujours appliquée aux projets de loi qui n’émanent pas du gouvernement, mais qui ont de bonnes chances d’être adoptés. Chers collègues, nous devons bien entendu traiter tout projet de modification législative avec toute la diligence nécessaire, que cette mesure émane du gouvernement ou d’un parlementaire. En fait, La procédure du Sénat en pratique indique que la distinction entre les affaires du gouvernement et les autres affaires n’existe que depuis 1991, date à laquelle les modifications apportées au Règlement du Sénat ont donné la priorité aux affaires émanant du gouvernement.

À l’heure actuelle, quelques lois fédérales, comme la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et la Loi sur l’évaluation d’impact, exigent que leur application fasse l’objet d’une analyse comparative entre les sexes. Ces exemples montrent l’utilité d’inscrire ces exigences dans la loi, comme cela a été le cas du projet de loi C-51 qui exigeait des déclarations de conformité à la Charte et d’autres exemples d’exigences en matière de rapports au Parlement. Cependant, les travaux législatifs à l’échelon fédéral ne font toujours pas l’objet d’une obligation de faire rapport sur les effets possibles d’un projet de loi donné sur les femmes. En modifiant cet état de fait, le projet de loi S-218 fera en sorte que les nouvelles lois qui seront adoptées bénéficieront à toutes les femmes du Canada.

Des débats récents dans cette enceinte ont confirmé qu’il est possible de faire mieux. Lors du débat sur le projet de loi C-30 — un projet de loi qui a amélioré le crédit pour la TPS — les sénatrices Dupuis et Bellemare ont souligné les lacunes du gouvernement concernant l’analyse comparative entre les sexes plus. Nous avons appris que, bien que le gouvernement mette parfois à la disposition des sénateurs un résumé de l’analyse comparative entre les sexes plus, comme l’a dit la sénatrice Dupuis :

Cette pratique devrait être étendue à tous les projets de loi, et le résumé de cette analyse devrait être déposé devant tous les comités du Sénat. Cette pratique devrait être automatique et ne pas être laissée au bon vouloir de chaque ministre.

Honorables sénateurs, lors d’une réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le 27 octobre dernier, la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse, l’honorable Marci Ien, a parlé de la valeur de l’analyse comparative entre les sexes plus et de l’engagement du gouvernement envers cette approche. Sa détermination mérite d’être saluée. Toutefois, le sénateur Patterson a fait remarquer qu’un rapport de 2022 du vérificateur général indiquait ce qui suit :

[...] seulement 39 % des ministères et des organismes fédéraux sondés effectuaient l’ACS Plus à cette étape cruciale de définition de problème plus de 60 % du temps. Cela signifie que la majorité des ministères et des organismes sondés n’appliquaient pas toujours l’ACS Plus à l’étape initiale de conception des politiques, des programmes et des initiatives, ce qui réduit la mesure dans laquelle l’ACS Plus pourrait éliminer ou éviter les inégalités vécues par différents groupes d’hommes, de femmes et de personnes de diverses identités de genre.

Sénateurs, le projet de loi S-218 offre la possibilité au gouvernement fédéral de prendre appui sur les progrès réalisés à ce jour en matière d’analyse comparative entre les sexes plus. Comme la sénatrice McPhedran nous l’a dit, il est important que des analyses comparatives entre les sexes plus soient menées dans tous les secteurs, y compris dans les secteurs des pêches, de la défense nationale et des infrastructures. Il serait dont approprié que nous renvoyions le projet de loi S-218 au comité pour que celui-ci étudie le changement durable proposé par la sénatrice McCallum.

Honorables sénateurs, j’aimerais m’exprimer brièvement sur l’importance d’accorder une attention politique particulière aux femmes autochtones, en appui à la mention spéciale que la sénatrice McCallum suggère d’inclure dans le projet de loi S-218. Selon moi, parmi les raisons valables, il y a le contexte historique du colonialisme, qui a jeté les bases de la discrimination et de la violence à grande échelle que nous constatons de nos jours. Je pense aussi aux cadres juridiques distincts qui s’appliquent aux femmes autochtones conformément aux droits constitutionnels prévus à l’article 35 et à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Voici un extrait du Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, paru en 2019 :

La violence dénoncée tout au long de l’Enquête nationale représente une pratique sociale génocidaire, délibérée et raciale visant les peuples autochtones, y compris les Premières Nations, les Inuits et les Métis, ciblant tout particulièrement les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA. Ces massacres sont les fruits des affirmations coloniales de souveraineté sur les territoires et les peuples autochtones, comme en témoignent la Loi sur les Indiens, la rafle des années 1960, les pensionnats indiens, les atteintes aux droits de la personne et aux droits des Autochtones, de même que les politiques actuelles, qui marginalisent ces derniers et entraînent une augmentation directe de l’incidence de la violence, des décès et du suicide chez leurs populations.

Honorables sénateurs, le travail que nous accomplissons au Sénat vise à régler cette situation, et il reste beaucoup à faire. À titre d’exemple, les Célèbres six, un groupe de femmes autochtones qui comprend notamment la sénatrice Lovelace Nicholas et l’ancienne sénatrice Dyck, a déployé d’immenses efforts afin d’éliminer la discrimination fondée sur le genre pour l’inscription au registre des Indiens. Comme le Comité des peuples autochtones l’a expliqué dans le rapport C’est assez! publié en juin, et comme la sénatrice Lovelace Nicholas et le sénateur Francis l’ont écrit dans le journal The Guardian de Charlottetown en juillet, le gouvernement ne respecte toujours pas le principe de la non-discrimination en matière de statut.

Voici un deuxième exemple. La sénatrice Boyer et le Comité sénatorial permanent des droits de la personne jouent un rôle de premier plan dans la lutte contre la stérilisation forcée au Canada. Le rapport publié par le comité l’an dernier montre que cette pratique touche de façon disproportionnée les femmes autochtones et d’autres groupes vulnérables et marginalisés. Cette année, la sénatrice Boyer a présenté le projet de loi S-250, qui créerait une infraction relative à la stérilisation dans le Code criminel.

Chers collègues, le fait que ce projet de loi soit nécessaire montre que les femmes autochtones du Canada sont encore confrontées à des situations terribles.

Voici un troisième exemple. Nous connaissons le travail qu’a accompli la sénatrice Audette à titre de commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que les appels à la justice. Nous nous réjouissons que le Comité des peuples autochtones demande des comptes au gouvernement au sujet des appels à la justice dans son rapport intitulé Il faut agir pour les FFADA : Ce n’est pas juste l’intention qui compte, publié en juin.

(2020)

Le comité conclut qu’il peut contribuer, par sa vigilance, à faire en sorte que l’on réponde à l’appel à la justice 1.7, concernant un ombudsman et un tribunal autochtones nationaux des droits de la personne et des droits des Autochtones, et à l’appel à la justice 1.10, concernant un mécanisme indépendant de rapport annuel au Parlement.

Sénateurs, en accordant aux femmes autochtones une attention particulière grâce au projet de loi S-218, nous reconnaissons leur situation juridique distincte en vertu des droits inscrits à l’article 35 de la Charte canadienne des droits libertés et dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont la mise en œuvre doit se faire selon le plan d’action qui est prévu. Les articles 21 et 22 de la Déclaration prévoient ce qui suit :

Une attention particulière est accordée aux droits et aux besoins particuliers des anciens, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones.

Puisque la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones fait désormais partie intégrante de la législation fédérale, le principe que je viens d’énoncer nécessite l’attention du législateur, comme le propose le projet de loi S-218.

En conclusion, le gouvernement, le Parlement et les Canadiens doivent faire davantage pour aborder les politiques publiques dans une optique de défense des femmes et de réconciliation. Nous devons faire plus pour construire une meilleure société pour toutes les femmes, y compris les femmes autochtones. Cette loi y contribuera. Chers collègues, je vous demande de vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi S-218 afin qu’il soit rapidement renvoyé au comité. Merci, hiy kitatamîhin.

(Sur la motion du sénateur Housakos, au nom de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Wallin, appuyée par l’honorable sénateur Tannas, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-248, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-248, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). Je remercie la sénatrice Wallin d’avoir défendu avec ardeur le dossier des demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Elle a toujours eu à cœur de militer pour l’autonomie du patient.

Le projet de loi S-248 a deux objectifs. Il vise à modifier le Code criminel de manière : à permettre à une personne dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible de conclure une entente par écrit en vue de recevoir l’aide médicale à mourir à une date déterminée si elle perd sa capacité à consentir à l’aide médicale à mourir avant cette date; à permettre à une personne atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables de faire une déclaration écrite pour renoncer à l’exigence du consentement final lorsqu’elle reçoit l’aide médicale à mourir si elle perd sa capacité à consentir à l’aide médicale à mourir, si elle est atteinte des symptômes énoncés dans la déclaration écrite et si toutes les autres mesures de sauvegarde pertinentes énoncées dans le Code criminel ont été respectées.

Certains d’entre vous se demandent peut-être si le dépôt du projet de loi S-248 est prématuré, étant donné que le nouveau Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a été créé en mars 2022 et qu’il n’a accompli qu’une partie de son mandat jusqu’à présent. En juin 2022, le comité a déposé son premier rapport intitulé : L’aide médicale à mourir et le trouble mental comme seul problème médical invoqué : rapport provisoire. Cependant, je soutiendrai que ce projet de loi n’est pas prématuré; au contraire, nos travaux sont en retard, et il est temps de nous rattraper.

J’attirerai votre attention sur trois documents qui peuvent guider nos travaux : le rapport final de novembre 2015 du groupe consultatif provincial-territorial d’experts sur l’aide médicale à mourir, le rapport de février 2016 du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir intitulé L’aide médicale à mourir: une approche centrée sur le patient et le rapport de 2018 du Groupe de travail du comité d’experts réuni par le Conseil des académies canadiennes intitulé L’état des connaissances sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Nous disposons de l’information dont nous avons besoin pour agir. Nous devons maintenant avoir le courage de le faire.

Le premier rapport que nous devons examiner est celui du Groupe consultatif provincial-territorial d’experts sur l’aide médicale à mourir. En février 2015, dans l’affaire Carter c. Canada, la Cour suprême du Canada a conclu que l’interdiction absolue de l’aide médicale à mourir violait les articles de la Charte canadienne des droits et libertés qui protègent le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité d’un individu. La cour a déterminé qu’il incombait au Parlement et aux législateurs provinciaux de mettre en place un régime juridique et réglementaire national pour l’aide médicale à mourir. Comme elle l’a écrit, le « législateur [...] est mieux placé que les tribunaux pour créer des régimes de réglementation complexes ».

On a donc formé le Groupe consultatif provincial-territorial d’experts pour donner des conseils non exécutoires aux ministres provinciaux et territoriaux de la Santé et de la Justice des 11 provinces et territoires participants sur l’adoption d’une approche pancanadienne en matière d’aide médicale à mourir. Les membres du groupe possédaient une expertise professionnelle en ce qui a trait aux questions cliniques, juridiques et éthiques pertinentes. Le groupe a publié son rapport final en novembre 2015 et a fait 43 recommandations en tout.

Les recommandations 12 et 13 portent sur le moment où le patient remplit un formulaire de déclaration pour réclamer l’aide médicale à mourir. Le groupe a envisagé quatre scénarios sur le moment de présentation d’une demande et a déterminé que l’aide médicale à mourir devrait être autorisée dans les trois cas suivants :

a) le patient est en possession de ses facultés en tout temps, depuis la demande initiale, jusqu’au moment de la prestation de l’aide médicale à mourir;

b) [...] le patient a perdu sa capacité de décision entre le moment où il a rempli le formulaire [...] et le moment de la prestation de l’aide médicale à mourir;

c) [...] le patient a perdu ses facultés entre le moment de remplir le formulaire [...] et le début de souffrances intolérables persistantes.

Le deuxième rapport que nous devons examiner est celui du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. En décembre 2015, les deux Chambres du Parlement ont créé ce comité mixte spécial, dont le but était d’examiner les consultations et les rapports existants sur l’aide à mourir, de consulter les Canadiens et les experts pertinents et de faire des recommandations au gouvernement fédéral pour un cadre national sur l’aide médicale à mourir.

Faisant partie des 5 sénateurs et 11 députés de ce comité, je peux témoigner du sérieux avec lequel nous avons mené nos travaux. Au cours de cinq semaines en janvier et février 2016, notre comité a reçu plus de 100 mémoires et a entendu les témoignages réfléchis et précieux de 61 témoins, qui possédaient de riches connaissances et compétences dans les domaines du droit, de la médecine et de l’éthique.

En tant que législateurs, nous devions proposer un cadre sur l’aide médicale à mourir, qui respecte à la fois l’autonomie et la dignité des personnes souffrant d’une condition médicale grave et irrémédiable et qui protège certains des individus les plus vulnérables de la société.

En février 2016, le comité mixte spécial a déposé son rapport intitulé L’aide médicale à mourir : une approche centrée sur le patient, qui contenait 21 recommandations, notamment sur les conditions d’admissibilité et les garanties procédurales.

Quelques mois plus tard, en juin 2016, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-14 — le tout premier cadre juridique du Canada concernant l’aide médicale à mourir —, qui reflétait certaines des recommandations du comité mixte spécial, mais certainement pas toutes.

Une omission notable du projet de loi C-14 était la recommandation 7, qui disait :

Que l’on autorise le recours aux demandes anticipées d’aide médicale à mourir à tout moment, après qu’une personne aura reçu un diagnostic de problème de santé qui lui fera vraisemblablement perdre ses capacités ou un diagnostic de problème de santé grave ou irrémédiable, mais avant que les souffrances ne deviennent intolérables.

Pendant nos audiences, la professeure Jocelyn Downie, des facultés de droit et de médecine de l’Université Dalhousie, a suggéré les critères suivants pour les directives anticipées :

[...] il faut exiger qu’au moment de présenter la demande, le patient ait un problème de santé grave et irrémédiable, et qu’il soit capable; au moment de la prestation de l’aide, il doit toujours avoir un problème de santé grave et irrémédiable, et il doit être affligé de souffrances intolérables, selon les critères qu’il aura lui-même établis au moment de présenter la demande ou avant de perdre sa lucidité.

(2030)

Mme Linda Jarrett, membre du Conseil consultatif des personnes handicapées, nous a dit ceci :

Selon les membres du Conseil, comme c’est le cas en ce qui concerne d’autres décisions importantes de fin de vie, nous devrions avoir la possibilité de faire connaître nos décisions lorsque nous sommes saints d’esprit et pouvoir espérer que celles-ci soient respectées si nous ne le sommes plus.

Honorables sénateurs, j’ai inclus ces citations pour montrer que la proposition de la sénatrice Wallin n’est pas nouvelle; cette recommandation avait été faite au comité mixte spécial il y a plus de six ans. Le rapport du comité et les témoignages entendus peuvent être facilement consultés dans le site Web du comité mixte spécial.

Le troisième document auquel nous avons accès est le rapport du Groupe de travail du comité d’experts sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir.

Je rappelle à ceux parmi nous qui étaient présents au Sénat lorsque nous avons débattu du projet de loi C-14 que ce dernier prévoyait la tenue d’un examen indépendant dans les deux années suivant son adoption au sujet de trois enjeux complexes : premièrement, la possibilité pour les mineurs matures de demander l’aide médicale à mourir; deuxièmement, les demandes anticipées; troisièmement, les demandes d’aide médicale à mourir pour les personnes dont la maladie mentale est la seule condition sous‑jacente. Afin que le mandat lié à l’examen indépendant puisse être rempli, le gouvernement du Canada a demandé au Conseil des académies canadiennes de former un groupe pluridisciplinaire de 43 experts du Canada et d’ailleurs pour la tenue de cet examen et l’étude des trois enjeux que je viens de mentionner.

Le groupe d’experts était présidé par l’honorable Marie Deschamps, ancienne juge de la Cour suprême du Canada et professeure auxiliaire à l’Université McGill et à l’Université de Sherbrooke. Le groupe de travail sur les demandes anticipées était présidé par Jennifer Gibson, professeure agrégée, titulaire de la chaire de bioéthique de la Financière Sun Life et directrice du Joint Centre for Bioethics de l’Université de Toronto. Ce groupe de travail rassemblait de nombreux experts reconnus dans les domaines de la bioéthique, du droit, du vieillissement, des professions de la santé concernées par l’aide médicale à mourir et du savoir autochtone, dont la Dre Alika Lafontaine, le professeur Trudo Lemmens, la professeure émérite Dorothy Pringle et le Dr Samir Sinha.

En décembre 2018, le Conseil des académies canadiennes a publié trois rapports finaux du groupe d’experts. Dans le résumé de ses rapports, le groupe d’experts a fait remarquer que :

Les principales raisons qui incitent à formuler une demande anticipée d’AMM sont le désir d’avoir le contrôle sur sa fin de vie et la volonté d’éviter la souffrance intolérable. Pour les personnes souhaitant recevoir l’AMM, savoir qu’elles pourraient perdre leur capacité décisionnelle et donc devenir inadmissibles à l’AMM est une source de crainte.

Le groupe d’experts a également observé que le principal risque associé aux demandes anticipées d’aide médicale à mourir est lié au fait qu’une personne pourrait recevoir cette dernière contre son gré, mais il a affirmé que plusieurs mesures de protection peuvent être mises en place pour éviter tout risque ou vulnérabilité.

Le rapport du Groupe de travail du comité d’experts sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir intitulé L’état des connaissances sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir consiste en cinq chapitres substantiels : « L’AMM au Canada : facteurs historiques et contemporains », « Demandes anticipées d’aide médicale à mourir : contexte et concepts », « Problèmes et incertitude entourant les demandes anticipées d’AMM : trois scénarios », « Données probantes tirées des pratiques connexes au Canada et à l’étranger » et « Autorisation ou interdiction des demandes anticipées d’AMM : facteurs à considérer ».

Bien qu’il ne revenait pas au comité d’experts ou à son groupe de travail de formuler des recommandations à l’intention du gouvernement, le rapport fournit des idées importantes, y compris de possibles mesures de protection concernant les demandes anticipées d’aide médicale à mourir, dont des mesures à l’échelle du système, des mesures légales, des mesures concernant les processus cliniques, des mesures de soutien à l’intention des professionnels de la santé et des mesures de soutien à l’intention des patients et des familles.

Honorables sénateurs, ces rapports du comité d’experts étaient censés améliorer notre compréhension et guider notre travail en tant que législateurs et ils n’ont toujours pas été soumis à l’examen d’un comité parlementaire comme le prévoyait initialement le projet de loi C-14. Il est grand temps que nous fassions notre travail.

De nos jours, les dispositions du Code criminel qui régissent l’aide médicale à mourir établissent deux séries de mesures de protection : une pour les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et une pour celles dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.

Les personnes qui font une demande écrite volontaire pour recevoir l’aide médicale à mourir doivent être atteintes de problèmes de santé graves et irrémédiables. De plus, elles doivent être mentalement capables, être libres d’influences externes et être en mesure de donner leur consentement éclairé.

Quand la mort d’une personne est raisonnablement prévisible, elle peut renoncer à l’exigence du consentement final si, au moment d’être évaluée et jugée admissible, elle avait la capacité de prendre une décision.

Plus précisément, une personne doit conclure une entente par écrit avec son praticien de la santé en vue de consentir à l’avance à l’aide médicale à mourir, à une date de son choix, au cas où elle perdrait la capacité de le faire à cette date.

En résumé, le projet de loi S-248 élargit ce qui est déjà permis par la loi. Une personne qui souffre d’une condition médicale grave et incurable pourrait renoncer à l’exigence du consentement final et recevoir l’aide médicale à mourir à une date déterminée, ou à l’apparition des symptômes énoncés dans son entente par écrit.

Honorables collègues, des experts respectés recommandent aux décideurs depuis 2015 de permettre les demandes anticipées, mais ceux-ci n’écoutent pas leurs conseils. Si nous continuons d’attendre que le gouvernement passe à l’action, des années pourraient s’écouler avant qu’une proposition de modification de la loi ne soit proposée. Cela aurait comme résultat que des Canadiens, au moment où ils sont le plus vulnérable, souffrent de manière non nécessaire et non souhaitée, sans pouvoir exercer leur autonomie personnelle et décider de leur propre fin de vie. Nous disposons d’excellentes données pour déterminer la meilleure manière d’agir. Le temps est venu d’en prendre acte. J’espère que vous vous joindrez à moi pour renvoyer ce projet de loi au comité. Merci.

(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Kutcher, appuyée par l’honorable sénateur Boehm, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-251, Loi abrogeant l’article 43 du Code criminel (appel à l’action numéro 6 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada).

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, l’un des rôles centraux du Sénat consiste à être la voix des sans-voix et à représenter les groupes qui n’ont pas de représentation significative dans le discours politique. Le projet de loi S-251 s’inscrit bien dans cette mission sur trois fronts. Premièrement, il répond à une préoccupation de longue date au sein des communautés canadiennes. Deuxièmement, il répond à un appel à l’action lancé dans le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation. Troisièmement, il constitue une étape importante menant au respect de tous les engagements internationaux en matière de droits de la personne.

Je commencerai par dire que je suis fortement en faveur de ce projet de loi et que je nous exhorte à veiller à ce qu’il soit dûment examiné en comité, où les voix des Canadiens, notamment celle des enfants canadiens, peuvent être entendues.

Chers collègues, il est plus que temps d’abroger l’article 43 du Code criminel. Je tiens à féliciter notre collègue, le sénateur Kutcher, d’avoir présenté ce projet de loi, car de nombreuses versions de celui-ci ont été présentées au cours de la dernière décennie. En vérité, comme nous le savons tous, la persévérance et la persistance s’avèrent toujours nécessaires pour que de véritables changements se produisent. Il est temps de ramener cette question cruciale pour lui faire subir un nouvel examen dans le contexte d’aujourd’hui, en reconnaissant à nouveau les préoccupations des Canadiens, ainsi que la nécessité de répondre à la Commission de vérité et réconciliation et de respecter nos engagements internationaux.

Il y a quelques années, nous avons organisé une célébration virtuelle à l’occasion du 90e anniversaire de l’honorable Landon Pearson. Lors de cette discussion, elle a dit quelque chose que je savais et que vous savez, mais elle l’a communiqué d’une façon nouvelle et simple lorsqu’elle a dit : « Les parents n’ont pas de droits. Ils ont des responsabilités. Les parents n’ont pas de droits. Les enfants ont des droits. Les parents ont des responsabilités. »

J’appuie fermement l’idée d’aider les parents à prendre bien soin de leur famille. À cet égard, nous devons être sensibles au rôle que devrait jouer le gouvernement, mais on a parfois besoin de l’intervention d’institutions publiques pour protéger les droits des enfants. À ces moments-là, ces interventions devraient être les bienvenues.

(2040)

C’est pourquoi nous avons des transferts de richesse, comme l’Allocation canadienne pour enfants, et des programmes importants comme les prestations spéciales de l’assurance-emploi, car ces programmes permettent aux institutions publiques d’aider les familles à s’épanouir.

Les parents sont censés être les gardiens principaux de leurs enfants et ont la responsabilité de les élever pour qu’ils mènent une vie saine, riche et productive. Dans un monde idéal, c’est ce qui se passerait dans toutes les familles. Mais, comme vous et moi le savons, la réalité est parfois différente. Il y a des moments où les institutions publiques doivent intervenir. Souvent, nous considérons qu’il s’agit de moments où les parents ne peuvent ou ne veulent pas assumer cette responsabilité. Je dirais qu’il faut aussi les considérer comme des moments où les droits des enfants et leur bien-être doivent être assurés et défendus.

Quels sont ces droits? Selon la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, les enfants ont un large éventail de droits — tout comme les adultes — qui vont de la liberté d’utiliser leur langue et de la liberté de pensée religieuse à la protection contre la violence et les mauvais traitements. Le sénateur Kutcher a cité le paragraphe 1 de l’article 19 dans son discours en tant que parrain, et je vais le relire pour vous le rappeler :

Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

Chers collègues, le Canada est tenu de respecter la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et de la mettre en œuvre intégralement. C’est l’un des nombreux aspects où nous manquons à ce devoir.

Dans les faits, l’article 43 fait le contraire en permettant que des enfants subissent certaines formes de violence physique. Nous ne pouvons plus rester les bras croisés. Ce projet de loi ne cible pas la personne qui empoigne un enfant pour le tenir à l’écart du danger ni celle qui restreint un enfant avec amour dans son siège d’appoint ou pour lui donner un bain. Il vise à supprimer le châtiment corporel comme forme de discipline parentale acceptée légalement alors qu’il n’existe aucune preuve de son efficacité.

Je passe aux observations de deux expertes : Daniella Bendo, professeure adjointe à l’Université King’s College, et Cheyanne Ratnam, présidente et cheffe de la direction de l’Ontario Children’s Advancement Coalition, un organisme qui se consacre aux enfants en foyer d’accueil. Mme Bendo soutient que :

L’article 43 du Code criminel du Canada justifie le recours à la force pour corriger les enfants au Canada et stipule que l’emploi de la force est fondé pour infliger une correction, pourvu que la force ne dépasse pas la « mesure raisonnable » dans les circonstances. Cette loi coloniale constitue une violation des droits des enfants à la protection et figure dans le Code criminel depuis 1892, malgré le fait que 63 pays ont interdit les châtiments corporels dans toutes les circonstances.

Il existe un grand nombre de recherches universitaires qui démontrent les effets négatifs des châtiments corporels sur les enfants, notamment les effets néfastes sur le comportement, le bien-être, la santé mentale, le développement cognitif et les relations des jeunes.

Elle a ensuite ajouté ceci :

En réalité, aucune recherche ne démontre que les châtiments corporels ont des effets positifs ou des avantages sur la santé ou le bien-être des enfants. De plus, aucune recherche n’a mis en évidence d’avantages à long terme des châtiments corporels sur les enfants. Le projet de loi S-251 est essentiel à la protection juridique des enfants canadiens contre les préjudices et la violence et représente les obligations du Canada envers les enfants sur le plan des droits de la personne.

Pour sa part, Mme Ratman a dit :

Le projet de loi S-251 est essentiel pour protéger les enfants contre les préjudices, et il incombe au système de mettre au point des mesures de soutien et des ressources adéquates pour favoriser la santé et le bien-être des familles. [L’article 43 du Code criminel] est archaïque et contre-intuitif. [Il représente une façon], en tant que pays, de soutenir une loi qui est fondée sur la blanchité, qui perpétue l’éclatement des familles, de communautés entières, et qui facilite l’effondrement de la culture et de l’identité dans les cas de séparations familiales forcées — notamment par l’entremise des services de protection de l’enfance et du système juridique. Ce dont les familles ont besoin, ce sont de ressources et de mesures de soutien adéquates, équitables, accessibles et adaptées à la culture, y compris des mesures de soutien en santé mentale, qui sont fondées sur la guérison et l’épanouissement de tous les membres de la famille en tenant compte de leurs différents besoins [...]

En somme, ces deux femmes accomplies affirment qu’il n’est plus acceptable moralement pour le Canada d’autoriser la violence contre les enfants tout en assumant un leadership moral sur la scène internationale ou en cherchant la réconciliation ici — en fait, une telle position n’a jamais été acceptable. Il y a une lacune dans le droit canadien, et elle doit être corrigée.

Il faut la corriger parce que rien ne prouve que l’utilisation de la punition corporelle est une façon efficace d’inculquer de meilleurs comportements aux enfants, comme l’a noté notre collègue le sénateur Kutcher lorsqu’il a parlé d’un article publié en 2021 dans The Lancet. Cet article portait sur l’analyse de 69 études longitudinales et en venait à une conclusion que nous connaissons tous : la fessée est nuisible.

Pour autant, régler ce problème n’est que le début du grand travail que nous devons entreprendre pour favoriser des familles en santé au pays. Les châtiments corporels, tels que sanctionnés par le Code criminel, sont symptomatiques d’un problème plus vaste.

En examinant cette question, ma première hypothèse est que la plupart des parents aiment leurs enfants et feraient tout pour en prendre soin et les aimer. La capacité des parents à le faire est érodée par de nombreux défis quotidiens, tels que le coût élevé du logement et de l’épicerie, les emplois mal payés, les pressions sur leur santé mentale causées par un traumatisme générationnel, et toute une série d’autres difficultés que vous et moi connaissons très bien.

De nombreux parents ont recours aux châtiments corporels parce qu’ils n’ont pas le temps, l’énergie, la capacité ni la compréhension nécessaires pour s’asseoir et parler avec leurs enfants, les éduquer en douceur ou utiliser d’autres méthodes de discipline positive. Ils n’ont tout simplement pas le temps, et le châtiment corporel peut être perçu comme le moyen de mettre fin à un comportement indésirable maintenant, de manière rapide. Je ne pense pas que ce soit parce que les parents sont de mauvaises personnes qui détestent leurs enfants. Je pense que, souvent, ils n’ont tout simplement pas le temps ni la compréhension nécessaires.

Ma deuxième hypothèse, c’est qu’il n’est pas nécessaire de frapper les enfants pour qu’ils apprennent. Quiconque prend le temps d’observer un enfant sera surpris et ébahi par toutes ses capacités. Les enfants ont le sens de l’observation et sont curieux et intelligents. Ils peuvent apprendre; on peut leur enseigner des choses. Nous devrions avoir pour objectif d’aider les parents, les familles et les collectivités à favoriser le développement moral et intellectuel des enfants dès leur plus jeune âge. Pour amener les enfants à adopter des comportements appropriés, les parents devraient leur parler, leur enseigner les comportements à adopter et les encourager. Les parents qui emploient des stratégies positives montrent aussi à leurs enfants que les mots employés de façon délibérée, avec patience, ont le pouvoir de changer le cœur et l’esprit d’une personne d’une façon plus profonde et plus durable que ne peuvent le faire des interventions physiques. C’est un pas important vers une vie adulte saine.

Je sais que beaucoup d’entre nous, même ici dans cette enceinte, ont eu affaire à des châtiments corporels quand ils étaient enfants. Pour certains, c’était bien pire que l’occasionnelle gifle, pincette ou torsion du bras, mais c’était certainement toujours violent. Pour être honnête, ce n’est pas un souvenir que nous évoquons avec tendresse, mais plutôt une chose dont nous nous sommes sortis et que nous avons endurée, et qui, pour certains, peut être acceptée comme faisant partie de ce qui a fait d’eux les êtres prospères et puissants qu’ils sont. Mais des séquelles silencieuses perdurent — quelque chose qui a eu un impact sur nous de manière subconsciente; une chose sur laquelle nous n’avons jamais mis le doigt, mais dont nous sentons encore la présence. Pour beaucoup, cette séquelle silencieuse reste une source de douleur toute la vie. Il se pourrait fort bien que nous soyons là où nous sommes malgré ce traitement, et non à cause de lui.

(2050)

Il se peut que nous n’ayons jamais reçu de fessées provoquées par la colère, et que les châtiments aient toujours répondu au critère établi par la Cour suprême selon lequel cette punition doit être « raisonnable », mais cela ne veut pas dire que c’est une pratique acceptable, honorables collègues.

Je ne dis pas cela pour minimiser les situations que bon nombre d’entre nous ont vécues, mais pour nous amener à nous demander si les châtiments corporels peuvent être utiles et nous rappeler que ces châtiments ont des effets concrets et durables sur les enfants. C’est une question extrêmement personnelle pour bien des gens, et cette pratique a évidemment apporté son lot de cicatrices profondes ainsi que de blessures et de colères encore vives.

Abroger l’article 43 ne suffira pas. Honorables collègues, il faudra prendre des mesures concrètes si nous voulons améliorer le bien-être des familles et des enfants et faire respecter les droits de l’enfant.

J’aimerais dire quelques mots sur les expériences de nombreux États à l’échelle mondiale. Nous savons que de nombreux pays, comme la Suède, l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande, ont interdit les châtiments corporels, et nous pouvons tirer des leçons de leur expérience. Dans ces pays, l’interdiction a fonctionné. Tous ces pays font état d’une baisse considérable des cas de châtiments corporels déclarés. En Allemagne et en Finlande, les cas ont chuté de près de 50 %. Par ailleurs, ces pays reconnaissent la nécessité de sensibiliser la population et de fournir une aide adéquate aux familles. Ils reconnaissent la nécessité d’aider les parents et les familles à trouver d’autres façons d’élever et de discipliner leurs enfants.

Je suis consciente de l’importance de ces facteurs et je recommande fortement que le gouvernement du Canada les prenne en considération et s’engage à consacrer l’argent nécessaire lorsque ce projet de loi sera adopté.

Enfin, les interdictions n’ont pas envoyé des parents qui ont donné la fessée à leurs enfants derrière les barreaux. Dans la plupart des pays, la conséquence d’avoir utilisé la punition corporelle consiste habituellement en un signalement aux services sociaux afin que les familles obtiennent le soutien dont elles ont besoin. Nous devrons agir dans le même sens ici, au Canada.

Chers collègues, je terminerai en disant qu’il nous incombe d’abroger l’article 43. J’appuie ce projet de loi de tout cœur et je me réjouis à la perspective de poursuivre la discussion au comité, avec votre aide. Merci, meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur le cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Ravalia, appuyée par l’honorable sénatrice Duncan, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir pour parler du projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, l’ETCAF. J’appuie fortement le projet de loi du sénateur Ravalia, et je lui suis reconnaissant de son initiative.

Avant d’être nommé au Sénat, j’étais membre et futur président du conseil d’administration du réseau Kids Brain Health, qui soutenait la mobilisation des recherches liées à l’autisme, à l’ETCAF et à la paralysie cérébrale. C’est dans ce contexte que j’ai découvert la terrible réalité associée à l’ETCAF ainsi que l’isolement, les risques, la souffrance et les traumatismes qui sont le lot de beaucoup d’enfants et de leur famille.

Mes observations s’articuleront principalement autour de quatre points : premièrement, l’ETCAF est un problème qui touche tout le monde, un problème que le jugement des autres et la honte viennent grandement alourdir. Deuxièmement, il est beaucoup plus coûteux de ne rien faire pendant toute la vie d’une personne née avec un trouble causé par l’alcoolisation fœtale que de choisir n’importe quelle autre option. Troisièmement, les diagnostics et les interventions précoces sont cruciaux si l’on souhaite réduire les coûts cumulatifs tout au long de la vie. En ce moment, toutefois, la plupart des familles n’ont pas accès à la grande majorité des approches et des outils fondés sur des données probantes. Quatrièmement, les options de prestation de services à distance sont très prometteuses. Elles pourraient permettre au Canada de devenir un chef de file mondial tout en l’aidant à répondre aux besoins des enfants, des familles, des éducateurs et de beaucoup d’autres personnes touchées par l’ETCAF. Ces options sont vraiment importantes.

Pour revenir à mon premier point, l’ETCAF est un problème qui touche tout le monde. Au Canada, environ 70 % des femmes en âge de procréer boivent, et 50 % des grossesses ne sont pas prévues. Grâce à diverses études épidémiologiques, nous savons qu’environ 30 % des foetus sont exposés à l’alcool dans une certaine mesure, le plus souvent au cours du premier trimestre de grossesse, avant même que la femme ne sache qu’elle est enceinte.

Une étude réalisée récemment par l’Université de Californie à San Francisco a révélé qu’un tiers des femmes découvrent qu’elles sont enceintes après six semaines ou plus de grossesse. Ce chiffre s’élève à près de deux tiers chez les jeunes femmes, et les femmes marginalisées sont encore plus susceptibles d’apprendre qu’elles sont enceintes après sept semaines de grossesse.

En bref, je pense qu’au comité, il sera important d’essayer de comprendre dans quelle mesure la crainte du jugement et le sentiment de honte peuvent dissuader les femmes de chercher à subir rapidement un dépistage et à obtenir un traitement pour l’ETCAF lorsque cela est possible.

J’en viens maintenant à mon deuxième point, à savoir le coût élevé de l’inaction. On a tenté à quelques reprises de calculer le coût de l’ETCAF pour l’économie canadienne. En se fondant sur une prévalence de 1 %, un chercheur du Centre de toxicomanie et de santé mentale, le CTSM, a estimé que le coût direct de l’ETCAF était d’environ 1,8 milliard de dollars par an. Cependant, encore une fois, des études épidémiologiques indiquent que la véritable prévalence de l’ETCAF au Canada est plus proche de 4 %, ce qui représente vraisemblablement un coût plus proche de 6 ou 7 milliards de dollars par an.

Or, ces coûts ne se limitent pas au système de santé contrairement à ce que je croyais lorsque j’ai commencé à me renseigner au sujet de l’ETCAF. La tragique ironie de la situation est que la majeure partie des coûts liés à l’ETCAF au Canada doivent être assumés par le système de justice. Les jeunes atteints de l’ETCAF sont 19 fois plus susceptibles que les autres jeunes de se retrouver en prison. On estime que les coûts totaux liés à l’ETCAF que doit assumer le système de justice frôle les 4 milliards de dollars par année. Pensez-y : nous consacrons près de 4 milliards de dollars aux interventions de la justice pénale concernant des personnes atteintes de l’ETCAF et nous sommes contraints de le faire à cause de blessures au cerveau subies in utero qui n’avaient pas été diagnostiquées ou pour lesquelles aucune intervention n’était possible.

Lorsque le comité étudiera le projet de loi S-253, j’espère qu’il se penchera sur le coût de l’inaction pour les familles, les écoles et les enfants concernés, ainsi que sur tous les coûts que doivent assumer les services sociaux, le système de santé, le système de justice et le système correctionnel canadiens.

Enfin, plus important encore, pensez aux coûts liés aux occasions perdues en raison de toutes les vies qui ne pourront être vécues pleinement à cause de notre inaction.

Parlons maintenant de mon troisième point : le diagnostic et l’intervention précoces. À l’heure actuelle, les lignes directrices canadiennes recommandent ou bien le diagnostic ou bien la désignation « à risque » des nourrissons dès l’âge de six mois. Toutefois, la réalité, c’est que la plupart des centres de diagnostic ne verront pas l’enfant avant l’âge de six ans, et les enfants qui s’adonnent à être aiguillés vers ces centres pour une évaluation attendent habituellement plus de deux ans avant d’être vus en raison des capacités de diagnostic inadéquates.

Les enfants de moins de six ans sont ceux qui bénéficient le plus des interventions qui atténuent de manière éprouvée les conséquences à long terme de l’exposition prénatale à l’alcool. Pourtant, à ce jour, nous fermons systématiquement la porte à cette possibilité pour pratiquement tous les enfants et toutes les familles.

Le dépistage précoce permet l’intervention précoce. Le Réseau pour la santé du cerveau des enfants a fait valoir et a cofinancé des techniques qui ont permis à des enfants ayant reçu un diagnostic de troubles causés par l’alcoolisation fœtale de se voir offrir de véritables soutiens en bas âge de sorte qu’ils puissent atteindre leur plein potentiel et jouir d’une qualité de vie nettement supérieure. Un avenir beaucoup plus brillant, plus sécuritaire et moins coûteux attend ces enfants et ces familles qui choisissent d’avoir recours à ces techniques.

J’espère que le comité consacrera également du temps à trouver des solutions pour surmonter les barrières systémiques qui empêchent le diagnostic efficace et économique ainsi que certaines stratégies de traitement de devenir la norme de soins dans l’ensemble du Canada.

Les obstacles systémiques existent à cause des préjugés, des ressources limitées et de l’accès limité aux technologies et à la connectivité, notamment le cloisonnement qui résulte du fait que le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale n’est la responsabilité d’aucun corps ou groupe, ni au sein de ni parmi les pouvoirs publics. Ce trouble est la responsabilité de tout le monde, ainsi, ce n’est la responsabilité de personne.

Quatrièmement, je veux parler de l’importance d’exploiter au mieux le soutien à distance pour les éducateurs, les parents et les enfants. Divers systèmes de soutien et de services à distance existent déjà. L’institut des familles solides en est un bon exemple. Établis en Nouvelle-Écosse, ils offrent des services à distance dans cette province ainsi que dans plusieurs autres provinces et territoires. Des services comme ceux-ci ont formé des paraprofessionnels qui offrent aux familles des programmes d’encadrement à distance, afin de les aider à faire face à des problèmes tels que l’inattention, l’impulsivité, la non-conformité et l’agressivité, à la maison ou à l’école, des problèmes très courants chez les enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux comme les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale.

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En tant qu’entrepreneur ayant dirigé une entreprise qui offrait une intervention en lecture efficace, économique et fondée sur des données probantes, en tant qu’entrepreneur commercialisant des recherches universitaires et en tant que bénévole au sein du Réseau pour la santé du cerveau des enfants, j’ai vu beaucoup trop de connaissances susceptibles d’améliorer la vie des gens qui n’ont jamais connu une application pratique. Vous m’avez entendu dire d’innombrables fois que le Canada possède un moteur de recherche phénoménal, mais que nous n’avons pas encore construit la transmission fiable qui convertira l’excellence de cette recherche en possibilités, en emplois et en prospérité.

Dans le cas des troubles neurodéveloppementaux, cela signifie que les enfants, les familles et les collectivités souffrent inutilement et que la société paie un coût beaucoup plus élevé. Partout au Canada, les enfants, les parents et les familles ont désespérément besoin d’un accès économique à des outils de diagnostic et d’intervention efficaces et fondés sur des données probantes.

Pour conclure, lors de son étude, j’espère que le comité se montrera sensible au besoin de ne pas forcer par inadvertance divers groupes de personnes handicapées sous-financés et mal desservis à se disputer de trop rares ressources. Cela me fait penser au projet de loi S-203, Loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme, que le Sénat a adopté à l’étape de la troisième lecture au printemps, et qui a depuis été présenté à l’autre endroit. C’est un projet de loi formidable, mais on peut comprendre la colère accumulée par les familles qui, malgré les besoins immenses, ne reçoivent que peu d’attention et de ressources. Ce ressentiment est d’autant plus grand quand, en répondant aux besoins de certains groupes de personnes handicapées, on se trouve à exclure ceux qui vivent avec d’autres handicaps.

Par conséquent, lorsque le projet de loi S-253 sera étudié au comité, j’espère qu’on trouvera des façons de mieux inclure l’ensemble des handicaps pour aider les enfants et les parents à composer avec les effets des troubles neurodeveloppementaux. Merci, chers collègues.

(Sur la motion de la sénatrice Ataullahjan, le débat est ajourné.)

Un avenir à zéro émission nette

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Coyle, attirant l’attention du Sénat sur l’importance de trouver des solutions pour faire la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada dans la poursuite d’un avenir juste, prospère, durable et paisible à zéro émission nette pour notre pays et la planète.

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je me rends compte que ma tâche est impossible, car je vous empêche actuellement de prendre un repos bien mérité, mais je demande votre indulgence. Je promets d’être très brève — 10 minutes — et j’espère vous éclairer ne serait-ce qu’un peu au sujet de l’interpellation de la sénatrice Coyle sur les solutions relatives aux changements climatiques.

Je tiens à remercier la sénatrice Coyle pour le leadership dont elle fait preuve sur cette question, alors même qu’elle se trouve avec d’autres dirigeants mondiaux à Charm el-Cheikh pour la COP 27. Je pense qu’il est tout à fait approprié que je fasse cette modeste contribution sur cette question au Sénat aujourd’hui.

Les preuves des changements climatiques se trouvent sous nos yeux, et elles sont indéniables : l’augmentation du nombre de tempêtes, la fonte des glaciers, la hausse de la température des océans et les graves sécheresses. Aucun pays ne sera à l’abri de ces changements.

Nous savons également que les changements climatiques provoqueront des déplacements massifs, non seulement à court terme, comme nous l’avons vu en Colombie-Britannique, mais aussi à long terme. Comme je l’ai déjà mentionné dans cette enceinte, on trouve déjà 100 millions de déplacés dans le monde à cause de la guerre, des persécutions, de la corruption et des violations des droits de la personne. Nous commençons à voir l’afflux massif de migrants climatiques. L’Organisation internationale pour les migrations a estimé qu’il y aura plus de 1 milliard de migrants environnementaux au cours des 30 prochaines années. Selon certaines estimations, ce nombre pourrait même atteindre 1,4 milliard d’ici 2060.

Je pose les questions suivantes, honorables sénateurs. Où iront tous ces gens? Comment seront-ils intégrés? Comment ce mouvement sera-t-il géré?

Il est tout à fait possible que le Canada ne soit pas une terre d’accueil pour les migrants climatiques, mais plutôt un pays d’émigration, où des Canadiens chercheront à s’installer ailleurs. Une action mondiale concernant le problème de la migration climatique est donc nécessaire.

Cette question nous offre aussi une occasion de faire les choses différemment, d’imaginer une manière collective d’agir qui ne se limite pas à ce qu’un État-nation détermine selon ses propres intérêts étroits. Plus que dans tout autre dossier, nous devons cesser de penser que nous appartenons à un territoire en particulier ou qu’un territoire donné nous appartient parce que, comme nous le savons, les changements climatiques ignorent les frontières. Les solutions à la migration climatique doivent donc se trouver au cœur de l’immigration et du mouvement de lutte contre les changements climatiques, au lieu de fonctionner en vase clos comme c’est le cas aujourd’hui.

Un certain nombre de propositions différentes doivent être prises en considération.

En 1990, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat nous a prévenus que la migration climatique pourrait devenir la plus grande conséquence des changements climatiques. C’était il y a 30 ans, mais les pays commencent à peine à discuter de cet impact depuis quelques années.

L’ancienne ambassadrice canadienne Rosemary McCarney a écrit ce qui suit dans un document pour le Conseil mondial pour les réfugiés et la migration :

Il n’y a pas de système international exhaustif qui suit des « principes, normes, règles et procédures décisionnelles implicites ou explicites autour desquels gravitent les attentes des acteurs » permettant d’aborder le problème des déplacements climatiques [...] il y a une série d’initiatives disparates [...]

Des initiatives aux multiples joueurs qui agissent en vase clos et qui recoupent différents programmes politiques. Mme McCarney estime que des actes substantifs et organisationnels doivent être posés afin de gérer les déplacements climatiques à l’échelle mondiale. Les actes en question devraient reposer sur les principes fondamentaux que sont le respect des droits de la personne, l’égalité des sexes et l’inclusion. L’analyse comparative entre les sexes devrait être la clé permettant de comprendre et d’évaluer les effets des changements climatiques sur les femmes et les hommes. Elle conclut avec raison que nous avons besoin d’un cadre juridique mondial sur les déplacements transfrontaliers causés par les changements climatiques, un cadre qui devrait garantir l’accès au territoire ainsi que le maintien du statut et le respect des droits pendant le séjour, et offrir des solutions à long terme.

Mme McCarney réclame également la création d’une institution centrale qui jouerait le rôle de plaque tournante pour la mise en œuvre des politiques, la supervision et la recherche, dans le but d’implanter une structure de gouvernance cohérente, uniforme et solide à l’échelle mondiale. Autrement dit, elle souhaite voir un nouveau cadre juridique mondial et une nouvelle institution internationale centrale.

Le Canada peut faire beaucoup à l’échelle internationale pour faire que ce programme se réalise. Toutefois, nous savons qu’il n’est pas facile d’apporter des changements à l’échelle mondiale. Les appels au multilatéralisme à un moment où les cadres existants sont mis à rude épreuve — l’impasse au Conseil de sécurité des Nations unies — ne laissent présager rien de bon pour de telles propositions, aussi nécessaires et sensées soient-elles. Il sera difficile d’obtenir un large appui de tous les pays.

Nous en arrivons donc à une deuxième proposition qui est moins parfaite, mais graduelle : une sorte de « mini-multilatéralisme », comme l’a suggéré le Conseil mondial pour les réfugiés et la migration, qui découle de l’établissement d’ententes régionales où les États voisins se réunissent puisque les répercussions régionales sont inévitables. Dans une certaine mesure, la coalition régionale entre la Colombie, l’Équateur et d’autres pays voisins en réponse au déplacement des Vénézuéliens sert un peu d’exemple de cette idée. Dans le contexte du changement climatique et des migrations, un arrangement régional dans les Amériques pour faire face à la crise inévitable à laquelle sont confrontées les îles des Caraïbes pourrait être un début. Selon les prévisions, la majeure partie des Bahamas, y compris Nassau, sera sous les eaux d’ici 2050, ce qui représente une population estimée à 396 000 personnes qui viendront frapper aux portes des États-Unis, du Canada et du Mexique.

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Nous disposons déjà d’accords bien conçus avec ces trois pays — comme l’Accord de libre-échange nord-américain, ou ALENA —, et ceux-ci pourraient donc servir de tremplin pour élaborer d’autres instruments sur la migration climatique. Cela ressemble à ce que propose le professeur Craig Damian Smith de l’Université métropolitaine de Toronto : une coalition de volontaires — soit d’États partageant les mêmes idées — autour d’un engagement de solidarité axé sur l’établissement des réfugiés climatiques, qui se réunirait en un club; un club doté de normes, de règles de comportement et même d’objectifs en matière de réinstallation des réfugiés climatiques. Pour emprunter le langage de notre ministre des Finances, il s’agirait d’une sorte de « friend-shoring », de politique d’affinité, non pas dans le cadre des chaînes d’approvisionnement et du commerce mondial, mais dans le cadre des déplacements climatiques.

Dans les sphères de la migration, il y a déjà un trop grand nombre de mauvais joueurs qui menacent les normes internationales en suivant leur propre trajectoire. Cette coalition pourrait être une alliance entre les bons policiers pour combattre les Rambos de ce monde. Si cela fonctionne à l’échelle régionale, il serait plus facile d’inciter d’autres pays à y participer.

De manière plus précise et selon un angle bilatéral, le Canada pourrait créer un partenariat avec un allié avec qui il a des affinités en matière de politiques sur la migration climatique, par exemple l’Allemagne, pour établir des politiques, des protocoles et des cadres communs relativement aux migrations climatiques. Comme je l’ai mentionné, l’Allemagne est un partenaire naturel pour le Canada. Nous sommes deux pays d’immigrants et nous croyons en la primauté du droit. Cependant, nous savons aussi très bien à quel point les choses pourraient mal tourner en l’absence de mesures proactives. Autrement dit, ni le Canada ni l’Allemagne ne veut se retrouver avec des milliers d’immigrants en raison des changements climatiques sans avoir mis en place des cadres juridiques adéquats, au préalable.

Finalement, le Canada peut accomplir davantage par lui-même et selon ses propres échéances. Nos processus d’immigration actuels n’englobent pas adéquatement la migration climatique comme facteur d’admissibilité pour pouvoir entrer au Canada — ni dans le volet des réfugiés ni dans le volet économique. Nous devons créer un volet propre à l’immigration climatique avec des chiffres additionnels, en plus de prévoir l’appareil gouvernemental approprié pour assurer son bon fonctionnement.

Par ailleurs, les politiques du Canada sur les agences d’établissement doivent être mises à jour. À l’heure actuelle, ce type d’immigration n’est pas explicitement incluse dans le cadre existant. Les immigrants dans cette catégorie pourraient avoir de la difficulté à avoir accès aux divers services.

Nous avons eu beaucoup de discussions sur les changements climatiques en cette enceinte. Je pense que c’est une question extrêmement complexe. Nous avons parlé de l’empreinte carbone, de l’extraction des ressources, des pipelines et des moratoires sur les pétroliers. En examinant ces questions, rappelons-nous d’inscrire clairement la migration climatique à l’ordre du jour, sinon, c’est la queue qui remuera le chien. Merci, chers collègues.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

(À 21 h 15, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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